Homme noir sur fond blanc (Xavier Deutsch)

Homme noir sur fond blanc (Xavier Deutsch)

Résumé de l’éditeur

Le pays de Brahim Abdelgadir est le Soudan : un beau pays‚ mais devenu très dur. Beaucoup trop dur. De la même façon que des milliers d’autres garçons‚ Brahim est obligé de fuir et de prendre la route. Son père le dit : « Il faut que tu partes‚ que tu te sauves : en Angleterre existe le salut. »

Brahim s’en va. Il rencontre toutes les épreuves qu’on peut imaginer : le désert brûlant‚ la barbarie des pirates libyens‚ la mer hostile et redoutable‚ puis l’Europe. Les routes glaciales‚ les violences policières‚ la clandestinité.

Un matin d’hiver‚ après avoir encore marché jusqu’à l’épuisement‚ Brahim entre dans un petit village des Ardennes‚ et enfin‚ il se trouve quelqu’un pour le considérer comme un Homme et l’accueillir.

Un roman puissant‚ bouleversant de vérité. On suit l’itinéraire d’un réfugié.

L’auteur s’est inspiré des récits des jeunes réfugiés qu’il a hébergés sur le chemin de l’exil.

Mon avis

Le début du récit peut dérouter le lecteur car il se retrouve face à des scènes saisies sur le vif à la manière de clichés photographiques. Il n’y a pas d’unité spatiale ou temporelle, mais des fragments. On lit des destinées des personnages qui s’effectuent en parallèle et sont racontées en pointillés avec des ellipses. Le point commun qui unit ces personnages est la nécessité de fuir vers un ailleurs dans l’espoir d’une vie meilleure. À plusieurs reprises, nous retrouvons Brahim, mais nous perdons régulièrement sa trace au fil des pages.

Comme vous l’aurez compris, le thème central du roman est celui de l’immigration et le récit s’attache à suivre le parcours de migrants venant de différents pays et cherchant à rejoindre l’Europe. Au début de l’histoire, on découvre tous les moyens de transport utilisés par les immigrés pour quitter leur pays, parfois au péril de leur vie.

« Des barques s’efforcent de franchir la Méditerranée. Des camions rejoignent le Royaume-Uni. Des avions décollent. Des trains sillonnent la France, des camionnettes de la police s’arrêtent sur un parking, puis repartent. Des voitures passent. Des ferries traversent la Manche. Des gens marchent sur de vieilles et très longues routes, sous le ciel, parmi les sapins. Les barques sont alourdies, elles tanguent. Les gens y sont trop nombreux. Un garçon s’agrippe à l’essieu d’un camion. Huile de moteur, secousses, gaz d’échappement, poussière, froid. Il tient ! Dans l’avion, quatre Soudanais qu’un gouvernement européen rapatrie vers l’enfer. »

Passé le florilège de migrants qui se dirigent vers l’Europe, le récit se concentre sur Brahim, un Soudanais dont le chemin rejoint celui d’un autre migrant évoqué précédemment : Abraham, l’Érythréen. Après une nouvelle arrestation lors de laquelle les policiers lui volent sa veste et son smartphone, Brahim se retrouve seul, la nuit, perdu en forêt. Lors de son errance, il se réfugie dans une maison où il trouve un homme mort qu’il enterre.

Dans le village de Saint-Franc dans les Ardennes, Brahim rencontre Gaston Goffart, le bourgmestre, qui va le conduire chez lui, le nourrir et soigner sa main avec l’aide de sa fille médecin, Catherine. Petit à petit, Brahim apprend à faire confiance et à se détendre, mais des souvenirs d’arrestations ou de mauvais traitements l’assaillent. Une fois qu’il a une attelle, Brahim quitte Gaston et prend le train en direction de Bruxelles.

À ce moment, le récit se centre sur Gaston et prend des allures d’intrigue policière. En effet, Vanesse, l’aide sociale, s’inquiète de ne plus voir Mile, le vieil homme qui vit isolé dans la forêt, et prévient Gaston. Avec l’aide de la police locale et du policier Degain, le corps du vieillard est découvert. Il a été enterré dans son jardin, ce qui rend la découverte suspecte. Gaston fait le lien avec Brahim et attend avec impatience les résultats de l’autopsie afin de savoir si Mile est mort de cause naturelle. Sans cela, il craint que le jeune Soudanais puisse avoir des problèmes. Au milieu de cette tension, Brahim appelle Gaston à l’aide. Le bourgmestre le rejoint et l’accueille à nouveau chez lui. Il découvre que des policiers lui ont pris ses chaussures et son attelle. Il est révolté face à l’attitude de la police et du gouvernement.

« Gaston avait entendu un jour à la télévision que des policiers belges, sur un parking d’autoroute belge, avaient lâché des chiens aux trousses d’une poignée d’Éthiopiens. Comment est-ce seulement possible ? Comment le Premier ministre n’ordonne-t-il pas sur-le-champ la démission du ministre de l’Intérieur ? »

Le bourgmestre reçoit les résultats de l’autopsie qui confirment une mort naturelle de Mile. Il prévient Degain qu’il héberge un migrant et interroge celui-ci sur les agissements de la police. Il s’assure de la droiture du policier. Deux autres migrants, Gaouar et Safouan, rejoignent alors Brahim et sont hébergés par le bourgmestre. Gaston reçoit un message anonyme qui montre l’hostilité de certains villageois à l’arrivée de migrants. Avertie de la situation, la police fédérale se présente chez Gaston et tente d’arrêter ses hôtes malgré l’intervention de Degain. La situation est très tendue et je n’en dirai pas plus…

Même si le début du récit m’a paru un peu laborieux, j’ai beaucoup aimé le roman pour plusieurs raisons. D’abord, on suit le parcours d’un étranger arrivé chez nous. On ne peut que s’interroger et se demander ce que nous ferions concrètement. En outre, à travers le personnage de Gaston, le roman met en avant la mobilisation de la population pour héberger et aider les migrants, perpétuant ainsi la vocation de la Belgique à être une terre d’asile. En parallèle, nous avons droit aux réactions méfiantes des villageois qui voient d’un mauvais œil l’arrivée de ces « étrangers » (« Ces gars-là, je te les foutrais dans un bateau vite fait. À la mer et basta ! »).

Je ne savais pas que Xavier Deutsch participe activement à l’accueil des migrants, je l’ai appris dans son texte de présentation qui figure dans le dossier pédagogique de chez Mijade. Il y dédie son roman à la « Team du parc », en référence aux bénévoles qui portent assistance aux migrants regroupés dans le parc Maximilien à Bruxelles.

« De tous les temps, la Belgique a ouvert ses portes. Elle a donné le refuge à Victor Hugo, Baudelaire et Karl Marx qui fuyaient les persécutions. Elle a donné le refuge aux exilés, aux persécutés, aux fuyards. Aux Hongrois qui avaient échappé aux communistes, aux Chiliens qui avaient échappé aux fascistes. À tous, toujours, de tous les temps. Telle est son histoire et, telle, sa dignité. »

Apprendre l’engagement de l’auteur m’a fait comprendre son style dans ce roman : ciselé et puissant, on sent le volcan qui bouillonne derrière ses mots, on sent son implication face à la situation dramatique des migrants, mais aussi sa révolte face aux décisions sur la politique migratoire et aux violences policières à l’égard des migrants.

J’ai eu un gros coup de cœur pour le personnage de Gaston, pour l’humanité et le naturel débonnaire avec lesquels il accueille un Brahim qu’il pourrait rejeter par méfiance, comme beaucoup de monde le fait.

« Gaston […] dépose son sac de courses auprès de l’évier. Un regard de côté pour voir Brahim et Benjamin occupés sur le smartphone, et une pensée pour les bananes qu’il vient d’acheter. En fait, Brahim, c’est vraiment un petit gars comme tout le monde.

On ne se rend pas compte. Quand, à la télé, on voit une barque sur le point de couler au large de Malte, quand on voit une colonne de migrants qui tente de franchir un col des Alpes, quand on voit ces types qui errent au bord d’une autoroute dans le nord de la France, en réalité, on ne voit rien. Ce sont des ombres, presque des fantômes, des silhouettes qui n’ont pas d’âge ni de nom.

Mais que l’un d’entre eux, un seul, franchisse votre porte après s’être fait voler son attelle par des flics, et se mettre à rire en écoutant Mohamed-al-Wardi à la table de votre cuisine, quand il est là, quand il dort dans un lit que vous lui avez préparé, quand vous vous souciez de le soustraire à la brutalité qui règne, alors il redevient ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un humain. »

Le regard de Gaston change, peut-être en même temps que le nôtre, et il prend conscience de cette réalité qu’il n’avait alors découverte que dans les médias. Brahim est avant tout un être humain comme les autres, qui ne demande qu’une chose : être en sécurité et pouvoir téléphoner aux membres de sa famille pour entendre leur voix, même s’il taira la maltraitance des policiers et l’inhumanité des personnes croisées sur sa route. Un roman à mettre en toutes les mains !

Le +

  • C’est un récit réaliste qui se passe en Belgique, on ne peut que se sentir concerné.
  • J’ai beaucoup apprécié la force et le caractère tranché de Gaston face à la tristesse et la vulnérabilité de Brahim. Une belle complémentarité où Gaston va prendre sous son aile Brahim sans l’infantiliser ou abuser de son pouvoir. L’humanité existe encore, même chez les politiciens, et ça fait du bien de le lire ! Je sais, c’est une fiction, mais laissez-moi m’emporter !
  • La fin du récit est très puissante.

Le –

L’évocation des différents parcours de migrants au début du récit m’a un peu désarçonnée, je me sentais un peu ballottée d’un pays à l’autre, d’un personnage à l’autre. Je sais que c’était voulu, mais ça ne me paraissait pas essentiel pour donner de la puissance à l’histoire.

Le coin des profs

Par son approche humaine de la question des migrants, ce roman permettra aux élèves de réfléchir et de débattre autour de valeurs fondamentales comme la fraternité, la citoyenneté, le respect des libertés et des droits des individus. Attention, le style est assez littéraire et peut perdre des lecteurs débutants.

Niveau de lecture

Intermédiaire

Genre

Récit réaliste

Mots clés

Abus de pouvoir des policiers, citoyenneté, droits de l’homme, fraternité, immigration, liberté, politique sécuritaire, xénophobie

Vous aimerez ce récit si vous avez aimé…

Réfugiés, Alan Gratz

Infos pratiques

  • À partir de 15 ans
  • Mijade
  • 215p.
  • 10€
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