Les quatre gars (Claire Renaud)

Les quatre gars (Claire Renaud)

Résumé de l’éditeur

Il y a mon papi, mon père, mon frère Yves et moi, 9 ans, Louis. On vit à Noirmoutier – on récolte du sel. La mer nous nourrit, nous apaise, éblouit. Chez nous, ça ne parle pas, ça rit un peu. Il faut dire que les femmes sont parties ; depuis, papa vit comme un ours, papi parle au fantôme de mamie et Yves est accro à la drague et à la muscu. Et moi ? Ben, moi, j’aimerais croire que cette vie, on peut faire mieux que « presque » la vivre.

Mon avis

L’histoire est celle d’une famille uniquement composée de garçons : deux frères, un père et un grand-père. Suite au départ inexplicable de la maman, le père s’est enfoui dans un silence quasi total en étant la plupart du temps grincheux et taciturne avec sa famille. Il s’est construit une carapace pour ne pas sombrer, mais a plongé le reste de la maison dans une atmosphère tendue.

« Papa m’emmène dans la camionnette. Il ne desserre pas les lèvres de tout le trajet. Je tente plusieurs sujets de conversation : les copains, la nature, la météo, Papi, Yves, le sel. Rien. Il ne saisit aucune perche, même les plus accessibles. Je me jette alors à l’eau avec un thème bien casse-gueule. Maman. Je me dis que c’est du lourd, qu’il va peut-être réagir : – La semaine prochaine, il y a un anniversaire, la maîtresse demande que les mamans fassent des gâteaux, et comme la mienne elle est partie, ben… Papa continue à conduire, imperturbable. – Tu n’as qu’à demander à Papi. Il fait très bien les gâteaux. Et il me dépose devant l’école. – Si tu pouvais arrêter de jacasser le matin, j’aimerais autant, dit-il quand je descends de la voiture. Alors la pie que je suis rejoint sa classe en silence, un poids énorme sur les épaules, qui n’a rien à voir avec mon cartable. »

Louis est un petit garçon qui souffre beaucoup de l’abandon de sa mère. Il est pâle et maigrichon, considéré comme « le sensible » dans cette famille de garçons, alors que son frère aîné est un paquet de muscles comme son père. Il se sent « si différent d’eux, tellement autre, et loin et seul », d’autant plus que depuis le départ brutal et inexpliqué de sa mère, son père se comporte « comme un bourru, un taiseux, une brute » qui accomplit son travail de saunier et sa petite vie routinière sans un mot, sans un geste pour sa famille.

« Longtemps, je suis resté assis à côté du téléphone. Je me disais qu’elle allait appeler. On ne part pas comme ça sans donner de nouvelles ! On passe un petit coup de fil pour dire qu’on est bien arrivé, qu’on n’est pas mort. C’est ce que tout le monde fait […] Je ne voulais pas manger, ni aller dormir. Mon père, ça le rendait fou. Il me forçait à venir prendre mes repas à la cuisine, je hurlais, il me tirait par la main et je pleurais si fort que je ne voyais pas mon assiette et que je mangeais les pleurs qui coulaient dans ma gorge. Ensuite, il me traînait jusqu’à ma chambre et m’obligeait à me mettre au lit. Papi, lui, il comprenait mieux. Il a laissé faire Papa pendant un moment et puis, quand il a décidé que la coupe était pleine, il l’a écarté et il a déclaré qu’il allait s’occuper de moi. Il m’apportait mon assiette près du téléphone. Ou un sandwich, c’était plus facile à manger d’une seule main. Et il a descendu le matelas aussi – je couchais dans le salon, près du petit meuble où trônait l’appareil silencieux. Et puis un jour, j’ai compris qu’elle n’appellerait jamais. Qu’elle s’en était allée pour de bon, sans se retourner. Qu’elle avait une nouvelle vie quelque part et que je n’en faisais plus partie. »

Heureusement, il y a le grand-père ! Il cuisine, gère le quotidien, écoute et encourage son Loulou ; c’est lui l’âme de la famille, son ciment. Papi et Louis se ressemblent physiquement, mais aussi dans leur caractère. Ils n’ont pas la force de Jean et Yves (qui s’entraîne durement pour entrer dans l’armée) qui récoltent et transportent le sel, mais ce sont les meilleurs pour le vendre sur le marché aux Parisiens crédules.

L’histoire se déroule sur la presqu’île de Noirmoutier et baigne dans l’ambiance et les traditions du bord de mer vendéen. Celle-ci a d’ailleurs une importance incontestable, c’est un personnage à part entière de l’histoire : « La mer nettoie. Quand tu te baignes, tu as l’impression que tu te purifies, que tu laisses toute ta saleté du corps mais aussi de la tête, toutes tes mauvaises pensées et tes peurs dans les vagues qui repartent au loin, chargées de crasse et de soucis. »

Dans cette vie morose, une lueur d’espoir se présente en la personne de Mlle Mariette, la maîtresse de Louis, qui ne semble pas insensible au charme brut de Jean… Dès lors, Papi, Louis, Yves et même les copains vont s’unir dans la complicité pour enflammer la braise entre ces deux-là, comme écrire des lettres d’amour à Mariette à la place du père… Attention, bêtises en cascade !

« Papi a repris le même stylo que la veille. Et c’est lui qui écrit à nouveau (la maîtresse connaît mon écriture, ç’aurait été trop risqué !).

Très chère Suzanne,

– T’as vu, Louis ? Dans la première lettre, on avait écrit «Chère Suzanne». Là, on passe à «Très chère Suzanne». C’est subtil, mais je suis sûr qu’elle y sera sensible. Les femmes remarquent ce genre de nuance…

Hum, je n’en suis pas si sûr, moi. Elle ne remarque même pas que ce n’est pas Papa qui écrit la lettre, alors…

Je pense à vous sans cesse. Je vous vois partout.

Oh… Ça me rappelle un passage de la lettre de Papa pour Maman. Mais je n’ose rien dire. Après tout, quand on parle d’amour, on est sans doute un peu obligé de se répéter. Et Mariette ne connaît pas les lettres pour Maman, alors ce n’est pas bien grave.

Le vent qui souffle sur mon visage lorsque je suis dans les marais salants a la douceur de votre haleine.

– Son haleine ? Euh… c’est pas un peu crado, ça ?

– Ben non, banane ! Elle a bonne haleine, ta maîtresse, ou pas ?

– J’ai pas vraiment remarqué. À part quand on mange du hachis Parmentier à la cantine, mais là, tout le monde a mauvaise haleine et…

– Parfait, alors continuons !

Je sens votre parfum dans les dunes, je vois votre visage dans les nuages, les mouettes me crient de vos nouvelles.

– Ça, c’est toi, non ? Avec mamie Raymonde.

– Oui, je puise dans ce que je connais, que veux-tu. Mais tous les amoureux de la Terre se ressemblent, tu sais…

J’ai tellement hâte de vous voir, de vous revoir, d’effleurer votre poignet… – On n’en fait pas trop, là ? Ça fait un peu mièvre, non ?

– Non : on est carrément mièvre, mais faut ce qu’il faut, mon Louis !

– Ah bon… »

 Dans ce roman, le lecteur est amené à suivre le quotidien de la famille « Dégâts » (qui porte bien son surnom !) dépourvue de toute présence féminine à travers le point de vue de Louis, le plus jeune de tous. J’ai beaucoup aimé suivre la routine de cette famille, entre les engueulades, l’école et le marché du dimanche.

Avec Les autre gars, on retrouve l’air frais et revigorant de la mer, le ton bourru des pêcheurs et la douceur des embruns. Sous le regard jeune et aiguisé de Louis, on observe la vie tout simplement, avec son lot de petits plaisirs et de douleurs cachées. Un roman qui fait du bien !

Le +

– Les personnages sont d’une grande justesse. J’ai beaucoup aimé le grand-père, son petit grain de folie (il voit des signes partout de sa défunte femme), sa complicité avec Louis et son franc-parler vis-à-vis de son fils quand il fait n’importe quoi.

– Les problèmes de communication dans la famille m’ont paru très justes et intéressants à aborder.

– L’auteure nous donne envie de nous balader à Noirmoutier, une île de Vendée surpeuplée de touristes en été, mais pleinement appréciée de ses habitants en saison creuse. À travers le regard de Louis, on découvre un endroit hors du temps où la solidarité est de mise et où il fait bon se réfugier.

Le –

– On peut peut-être reprocher au récit d’évoquer un quotidien assez banal, mais ça ne m’a pas dérangée.

– La vision qui est donnée des femmes est assez stéréotypée : entre les filles qui bavent devant le frère de Louis, une autre qui l’ignore, absorbée dans ses livres, et l’institutrice amoureuse qui pète les plombs en classe, c’est un peu caricatural.

Le coin des profs

– Le roman ne présente pas de difficulté de lecture et le langage spontané de Louis accompagné de la force de caractère et de l’humour du grand-père donnent un beau mélange plaisant à lire.

– Le roman est une bonne porte d’entrée pour aborder l’abandon inexpliqué d’un parent et les conséquences dans la systémique familiale.

Mots clés

Abandon, amitié, bêtises, disputes, famille, femmes/ filles, garçons, mer, sel, solitude

Vous aimerez ce récit si vous avez aimé…

Heureusement que le chien, lui, est un type bien, Lorenza Ghinelli

Infos pratiques

– À partir de 13 ans

– Sarbacane

– 229p.

– 15,50€

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