Nous les filles de nulle part (Amy Reed)

Nous les filles de nulle part (Amy Reed)

Résumé de l’éditeur

« Scandale, soif de justice, romance, une vision positive et épanouie de la sexualité, et un coup de poing dans les fondations sexistes de notre société : ce livre est un joyau. » Kirkus Reviews

Grace vient d’entrer au lycée de Prescott après avoir déménagé. Dans la chambre de sa nouvelle maison, elle découvre des mots griffés sur le mur : « Aidez-moi. Tuez-moi, je suis déjà morte ». Ces mots, c’est Lucy qui les a tracés. Lucy qui a accusé trois garçons de Prescott de l’avoir violée. Lucy qui a été traitée de menteuse par le reste du lycée. Lucy que la police n’a pas écoutée. Lucy qui a fui la ville avec ses parents.

Très vite, Grace comprend que cette violence s’exerce à tous les niveaux dans la ville de Prescott : quand les joueurs de l’équipe de foot notent le physique des filles qui passent devant eux ; quand son amie Rosina doit éviter les avances des clients du restaurant où elle travaille et surtout sur le blog du moment, « Les vrais mecs de Prescott » dont la ligne éditoriale consiste principalement à considérer les femmes comme des objets.

Grace, Erin et Rosina sont décidées à agir, mais elles ne peuvent le faire seules.

Mon avis

Grace et ses parents viennent d’emménager dans la ville de Prescott, dans l’Oregon, après que la mère de Grace, pasteur, s’est tout simplement fait virer de sa congrégation baptiste du Kentucky pour ses idées trop progressistes. Donc, nouvelle maison, nouveau lycée. Grace, rondelette et timide, ne tarde pas à sympathiser avec les « looseuses » du lycée : Rosina, la rockeuse mexicaine et homosexuelle qui ne se laisse pas marcher sur les pieds sauf par sa famille très traditionaliste, et Erin, une autiste Asperger au QI exceptionnel qui ne survit que par une organisation militaire.

Lorsque Grace emménage dans l’ancienne maison de Lucy et découvre ses mots de désespoir gravés dans les coins de sa chambre, elle interroge Rosina et Erin et apprend la fuite de Lucy suite à sa plainte pour viol multiple donnée sans suite (Lucy avait été ostracisée, traitée de menteuse et a fini par partir avec ses parents). Grace pousse un peu plus loin ses recherches et prend connaissance du blog des garçons du lycée qui avouent publiquement mais anonymement qu’ils violent les filles de troisième après les avoir séduites et les avoir fait boire (plus crédules, elles se laissent facilement embobiner par des beaux gosses qui les draguent).

« Parfois, la seule chose qui soit pire que la mort, c’est la survie. C’est le matin, elle a pratiquement disparu, mais pas tout à fait. Ses cheveux sont encroutés de vomi. Elle a mal partout. Elle a mal à l’intérieur. Ses vêtements chiffonnés jonchent le sol, ainsi qu’une demi-douzaine de préservatifs. Comme il est infâme, ce minuscule éclair de gratitude : ils n’ont fait que détruire, ils n’ont rien planté de vivant en elle. Les créatures de la vase ont dépouillé son squelette de toute sa chair. Elle est échouée sur le rivage, emmêlée dans les algues, puant la charogne. Elle travers en rampant la plage secouée par la tempête […] Des corps partout, des corps dans tous les coins, des gens qui ne sont pas rentrés chez eux hier soir. Tous ces gens qui étaient là, en bas, pendant qu’elle se noyait. Des corps remuent. Des yeux s’ouvrent et la regardent marcher comme un fantôme vers la porte. Un rire comme du verre qui se brise. Une voix dans la pénombre, qui la baptise d’un nouveau nom. Pute. »

Écoeurées par cette réalité, Grace, Rosina et Erin vont fonder « Les Filles de nulle part », un groupe destiné à se révolter contre la culture du viol et la dénoncer, pour rendre à Lucy ce qu’elle a perdu. Elles se mettent alors à distribuer des tracts pour prévenir les petites de troisième qu’elles ne sont que des proies pour les grands de terminale, elles placardent des messages de révolte sur les murs du lycée et elles lancent un acte symbolique : la grève du sexe de toutes les lycéennes pour dénoncer les violeurs. Le trio va rencontrer de nombreux sympathisants (eh oui, certains mecs bien les soutiennent) et va devenir rapidement un groupe qui sait faire entendre sa voix, mais il va aussi avoir des détracteurs : les violeurs (bien évidemment), mais aussi les adultes qui ne veulent pas faire de vague (la police et… la directrice du lycée !). Le temps est venu de parler et de punir les agresseurs…

« Une fille qui s’endort tous les soirs en pleurant ne dérange pas grand monde. Jusqu’au jour où elle parle. Jusqu’au jour où sa douleur déborde.»

Outre les revendications publiques, les filles de nulle part créent un groupe de parole où elles partagent leurs questionnements sur la sexualité. J’ai trouvé ces passages vraiment très intéressants car on y voyait tout le caractère protéiforme de la sexualité : qu’elles soient homo ou hétéro, certaines filles n’aiment pas faire l’amour, d’autres oui ; certaines ne savent pas qu’elles peuvent dire non, d’autres n’osent pas ; certaines voudraient faire l’amour, mais ont l’impression qu’elles vont rester vierges toute leur vie…

« Le silence ne veut pas dire oui. Un non peut-être pensé et ressenti sans jamais être prononcé. Il peut être hurlé en silence à l’intérieur. Il peut se trouver dans la pierre muette d’un poing serré, les ongles s’enfonçant dans la paume. Les lèvres scellées. Les yeux fermés. Son corps à lui ne faisant que prendre, sans jamais demander, n’ayant jamais appris à interroger le silence. »

Ce qui est vraiment chouette, c’est que les filles du lycée, d’ordinaire en compétition, vont commencer à s’entraider et essayer de se comprendre dans leurs différences. Il y a aussi les garçons qui respectent le désir des filles, mais qui sont mal à l’aise d’exprimer leur désir de peur d’être pris pour des prédateurs.

Ce livre est à mettre entre les mains de tous les ados à partir de 13 ans, garçons et filles, afin qu’ils comprennent que le viol est un acte de domination masculine, que ça n’est pas du sexe « ordinaire ». Les garçons ne sont pas « esclaves » de leurs pulsions, ils doivent apprendre à vivre en société et à respecter les filles.

« – Ah, les hyènes ! s’exclame le crétin prénommé Blake à la table à côté de la sienne […] J’ai acheté à Lisa un quadruple capuccino caramel ou je ne sais plus quelle merde à six dollars, et elle n’a même pas voulu me faire une branlette, putain. – Lisa ? dit un autre. Elle marche avec ces conneries de Filles de Nulle Part, maintenant ? – Ouais, tu le crois, ça ? Elle me sort : « Je n’ai pas à faire des trucs avec toi si je n’en ai pas envie ! » Du coup je lui réponds : « Alors pourquoi tu mets une jupe ras la touffe ? », et elle : « Je m’habille comme je veux », et moi : « OK mais si tu t’habilles comme ça faut pas t’attendre à ce que je me contrôle », non mais c’est vrai, quoi, non ? – Grave. »

Nous les filles de nulle part est un livre féministe et militant qui fait tomber les tabous et éclater la vérité à travers une parole libérée et un discours sans détour sur le rapport des filles à leur sexualité et leur identité sexuelle. Qu’elles soient hétéro, lesbiennes, transgenres, filles faciles ou psychorigides, épanouies ou introverties, pom pom girls ou athlètes, elles ne rêvent que d’une chose : vivre une sexualité épanouie et être enfin respectées par les garçons qui, il est vrai, n’occupent pas la première place dans ce roman où la violence et la domination masculines sont fustigées et dénoncées. Mais que les hommes et garçons n’aient pas peur : il ne s’agit pas d’un livre contre eux mais contre tous ceux qui utilisent le sexe comme une arme de soumission, contre ceux qui considèrent les femmes comme inférieures à eux et qui ne voient en elles qu’un moyen d’assouvir leur instinct de prédateur.

Ce roman est un cri de colère, mais aussi un cri empli d’espoir car rien n’est vain quand la parole se libère. Encore faut-il que tout le monde soit prêt à l’entendre et on est parfois étonné des détracteurs…

Le roman est dans  la sélection pour le Prix Farniente 2020. Affaire à suivre!

Le +

– À travers les personnages terriblement attachants de Grace, Rosina, Erin et toutes les autres, chaque lectrice pourra se reconnaître à travers ses doutes, ses peurs et ses traumatismes, pas seulement ceux liés aux hommes, mais ceux qui jalonnent toute vie adolescente : l’affirmation de soi, la découverte de l’amour, les liens de l’amitié, la solidarité, bref l’apprentissage de la vie.

– En filigrane de l’histoire, on sent la solitude de Grace face à ses parents qui sont très amoureux et qui sont tournés vers la carrière de la mère. Cette dernière a les idées progressistes et est entièrement tournée vers sa communauté, mais elle ne voit pas l’isolement de sa propre fille.

– C’est un livre au style agréable, fluide, qui se lit d’une traite assez facilement.

Le –

– Au début du récit, on bascule souvent d’un point de vue à un autre sans savoir qui parle. J’ai été un peu perdue car je ne savais pas bien qui était qui, mais ça s’est vite éclairci.

– Le blog où les violeurs avouent publiquement comment ils s’y prennent pour violer les filles m’a laissée perplexe : j’ai trouvé ça peu crédible.

Le coin des profs

Comme je l’ai dit, je trouve que ce roman est à mettre en toutes les mains, féminines ET masculines, pour aborder toutes les nuances de la sexualité.

Mots clés

Discrimination, domination, féminisme, révolte, sexualité, silence, sororité, viol

Vous aimerez ce récit si vous avec aimé…

Pas assez bien pour être une femme, Jeanne Benameur

Infos pratiques

– À partir de 15 ans

– Albin Michel

– 537p.

– 19€

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