Ogresse (Aylin Manço)

Ogresse (Aylin Manço)

Résumé de l’éditeur

Depuis que le père d’Hippolyte est parti, tout dans la vie de la jeune fille est déséquilibré. Sa mère s’enferme de longues heures à la cave et refuse de manger en sa présence. Elle lui prépare pourtant d’énormes pièces de viande qu’Hippolyte se force à avaler. Dans la rue où elles habitent, en bordure de forêt, leur voisine a disparu sans laisser de traces… Et puis un soir, la mère d’Hippolyte se jette sur elle et la mord.

Mon avis

Hippolyte, 16 ans, vit seule avec sa mère à Bruxelles depuis le divorce de ses parents l’été dernier. Toujours flanquée de ses amis Kouz et Benji qui l’appellent H, elle ne montre rien de la tristesse qu’elle ressent depuis cette séparation et tente de surmonter son désarroi. Si les relations avec son père sont distantes, la jeune fille entretient une relation plus complice avec sa mère, jusqu’au jour où sa mère la mord. Une couverture vert pétant, une goutte de sang qui perle sur une fourchette et un titre, Ogresse, il n’en faut pas plus pour comprendre. La littérature ado aborde cette fois-ci un sujet tabou encore trop peu traité : le cannibalisme.

Aylin Manço met en scène des personnages et des thèmes récurrents de la littérature pour la jeunesse : des adolescents un peu perdus lorsque les parents se séparent, les premiers émois amoureux lorsque la frontière entre amitié et amour devient floue, les premières relations sexuelles, le soutien ou les trahisons des amis. Mais à côté des tourments classiques de cette période fragile, il y a aussi le secret de la mère d’Hippolyte qui devient ensuite celui de la sa fille. Entre l’amour pour sa mère et cette réalité abominable, Hippolyte est prise dans un étau intenable. Que faire, que choisir ? Ogresse provoque des frissons d’angoisse, nous révulse aussi parfois, mais sans jamais tomber dans le gore ou le sensationnel. Certains passages font parfois froid dans le dos, ce roman est assez dérangeant quand on lit l’attitude dangereuse et inconsciente de la mère, mais aussi le désarroi d’Hippolyte, qui détourne les yeux des bizarreries de sa mère pour oublier qu’elles existent.

Le suspense de l’histoire est créé grâce à l’absence de soutien adulte auprès de l’héroïne : d’un côté, son père garde un contact ténu, mais en critiquant son ancienne épouse, ce qui ne crée pas beaucoup de confiance dans la relation père-fille. D’un autre côté, la mère ne parle presque plus à sa fille, lui fait des reproches, lui prépare uniquement de la viande saignante sans manger devant elle, puis va s’enfermer toute la soirée à la cave pour taper sur quelque chose… Une série d’éléments suspects vont se succéder, troublant alors le personnage principal et le lecteur : la disparition mystérieuse de la voisine augmente le suspense, mais aussi le regard dérangeant que la maman jette à sa fille, comme si elle allait constamment lui sauter dessus pour la croquer… C’est cette ambiance sombre, inquiétante et pleine de non-dits qui tient le lecteur en haleine, jusqu’à traverser une véritable descente aux enfers avec un final oppressant et intense.

Il y a de nombreux aspects dérangeants dans ce récit présentés de façon suffisamment subtile pour que le lecteur adhère à l’histoire : l’amitié de l’héroïne avec Kouz et Benji, alors qu’ils tiennent des propos dégradants sur les filles au début ; la relation qu’Hyppolite va nouer avec Lola, alors que cette dernière a été harcelée par Kouz et Benji ; l’enquête sur la disparition de la voisine ; mais aussi le rapport compliqué que H entretient avec ses parents. Il y a également ce malaise latent permanent dans sa propre maison qui crée un sentiment d’oppression…

De façon tout à fait sournoise, Ogresse nous parle de maltraitance et de maladie mentale en frôlant le fantastique, pas pour amoindrir les choses, mais au contraire pour en illustrer le caractère anormal et la peur qui saisit la victime, d’autant plus lorsque la victime en question doit dénoncer un proche. L’histoire montre que la seule issue vient de l’extérieur et du soutien des autres, de ceux qui sont prêts à ne pas acquiescer à tout, juste pour faire plaisir à l’autre. La violence dans le récit n’est d’ailleurs pas tant physique que psychologique, elle est traitée de façon multiple et montre qu’une victime peut en effet culpabiliser ou même s’attacher à son tortionnaire. En somme, l’horreur permet de mettre en avant l’anormalité et l’insoutenabilité d’un phénomène qui pourrait autrement paraître trop banal, notamment aux yeux d’une victime qui aime forcément son bourreau quand la charge affective est forte pour lui.

Un roman interpellant qui ne peut laisser indifférent !

Le +

  • C’est un roman de qualité : les jeunes lecteurs y retrouveront leurs thèmes favoris, agrémentés d’une touche d’horreur. La personnalité et la psychologie des personnages sont travaillées, l’intrigue est addictive et jusqu’à la fin, on ne lâche pas le livre. Le style, par ailleurs, est assez travaillé.
  • Ce récit a été écrit dans un atelier d’écriture avec Clémentine Beauvais. Ca se sent à travers l’intensité de l’histoire et son côté barge.

Le –

  • J’ai eu du mal à cerner Kouz qui est passé du connard montrant des nudes à ses copains pour se vanter au garçon sage, observateur, tranquille et compréhensif. C’est peu crédible.
  • Le roman me laisse un sentiment d’incompréhension car même s’il fonctionne, il y a des incohérences et j’ai longtemps attendu pour savoir si on était dans un récit fantastique ou un thriller. J’aurais préféré le savoir plus tôt car je m’attendais à une histoire de vampire et découvrir à la fin qu’il s’agit en fait d’un récit sur une cannibale change tout (surtout les lecteurs à qui on va conseiller le récit).
  • Les scènes scolaires avec les aléas de l’amitié et des premiers émois amoureux m’ont un peu agacée face à la dangerosité de la situation décrite dans le foyer de l’héroïne. On aurait dit du remplissage pour maintenir le suspense.

Le coin des profs

Le récit ne présente pas de difficulté de lecture, mais il traite d’un sujet très sensible et dérangeant qu’il ne faut certainement pas faire lire à tous les lecteurs. Certaines scènes sont douloureuses et violentes, qu’il vaut mieux ne pas faire lire à des jeunes adeptes du voyeurisme. Il y aurait là une sorte d’incitation à une forme sournoise de perversion qui fait que j’émets beaucoup de réserves, surtout que les jeunes lecteurs adulent ce récit (tiens, donc !).

Niveau de lecture

Intermédiaire (à cause du contenu)

Genre

Thriller

Mots clés

Amitié, amour, cannibalisme, divorce des parents, harcèlement, image de soi et des autres, maladie mentale, nudes sur les réseaux sociaux, oppression, peur, premiers émois amoureux, relation parents – ados, respect de la vie privée, victime

Vous aimerez ce récit si vous avez aimé…

Ma mère à l’Ouest, Eva Kavian

Infos pratiques

  • À partir de 15 ans
  • Sarbacane
  • 274p.
  • 16€
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