Soixante-douze heures (Anne-Sophie Vermot)

Soixante-douze heures (Anne-Sophie Vermot)

Résumé de l’éditeur

Dans le silence de sa chambre d’hôpital, elle chasse l’air de ses poumons, puis reprend une inspiration et le chasse à nouveau, avec plus de vigueur cette fois. Par bribes, les souvenirs affleurent, qui reconstituent l’histoire. Ces derniers mois, ces dernières années. Sa rencontre avec ce garçon, fasciné par son ultra finesse, le lycée, sa mère, ses secrets de famille. Malgré ses efforts, Irène est habitée par cette voix qui la poursuit et lui rappelle que ce bébé qu’elle vient d’expulser de son corps est le sien pour la vie. Tout se mêle, c’est le chaos dans son crâne et l’heure approche. Mais cette décision lui appartient à elle, et à personne d’autre.

Un texte rare qui dit, sans fard et sans jugement, un combat aussi intime qu’universel.

 

Mon avis

Irène tombe enceinte lors de sa première relation sexuelle. Elle décide de mettre l’enfant au monde et de le faire adopter, c’est-à-dire d’accoucher sous X. Le roman porte ce titre car il renvoie aux 72 heures après l’accouchement, heures pendant lesquelles Irène peut revenir sur sa décision. La décision d’accoucher sous X, puisqu’il s’agit de cela, est en effet souvent prise en amont de l’accouchement, mais un temps est laissé à l’accouchée avant de signer la déclaration d’abandon.

Durant ces trois jours, Irène décide d’écrire un carnet qu’elle donnera à son fils Max où elle lui livre sa vie de lycéenne, son enfance, comment Max est né, comment elle a vécu sa grossesse, les réactions de sa famille, le choix qu’elle a fait et pourquoi. Durant ces soixante-douze heures, elle va devoir confirmer si elle va abandonner son bébé, comme elle l’a prévu depuis des mois, ou si elle va revenir sur sa décision et choisir d’accueillir ce bébé dans sa vie. Avec beaucoup de retenue, elle se confie sur ses choix, mais aussi sur ses doutes, ses joies et sa peine immense, qui la poursuivent jusqu’à la fin du délai. Irène ne cesse de penser au nouveau-né, à la fois portée par une force qui l’étonne elle-même, fermement résolue à aller au bout d’une démarche qu’elle a mûrement réfléchie, mais prise de court par les émotions puissantes que ce petit être lui inspire et qui lui font craindre de changer d’avis.

« Je suis devenue mère, mais Max grandira sans moi, en dépit de cette tendresse qui m’envahit et enfle à vue d’œil. Cette tendresse qui est peut-être une forme d’amour contre laquelle je dois me défendre pour ne pas être tentée de revenir sur ma décision. Parce qu’il y a ces choses que je n’avais pas prévues, ces choses qui me troublent : la sensation animale de son corps grenouille sur le mien. Son souffle tiède, aussi léger qu’un duvet d’oie. Son pleur de nouveau-né qui vibre au creux de moi et qui arrache. »

Dans ce récit, l’auteure ne donne aucune leçon de morale, elle nous raconte juste une histoire, celle d’une vie dont on ne sait pas si elle sera ratée ou réussie, s’il s’agit d’une erreur monumentale ou d’un énorme acte d’amour, une vie qui a connu un bouleversement et qui va devoir bifurquer d’un côté ou d’un autre, mais ne pourra de toute façon pas continuer en ligne droite sur sa lancée.

Restitué à la première personne, sans pathos ou jugement, le tourbillon d’émotions, d’impressions, de dilemmes et de souvenirs qui agite Irène m’a profondément touchée. Avec une lucidité impressionnante, Irène pense à son histoire de petite fille discrète un peu écrasée par le fardeau des attentes parentales, au bouleversement de sa découverte récente de sa propre sensualité, à l’expérience intime de sa grossesse et aux dilemmes terribles qui en découlent.

La solitude d’Irène transparaît à chaque page, alourdie par les jugements de ses camarades, de la boulangère, de ses proches, surtout sa mère qui veut qu’Irène garde le bébé et l’élève. À travers le récit, c’est toute l’histoire familiale qui se dessine : une grand-mère qui ne s’est pas épanouie, un grand-père idéalisé, une mère très exigeante, une petite sœur handicapée rejetée…

« En ce jour de vérité, je découvre une rancœur manifeste de la part des uns et des autres. Une rancœur que je perçois d’abord comme une injustice dans la mesure où je n’ai rien demandé, mais, très vite, je me rends compte que ma grand-mère s’attarde surtout sur le fait que le plus douloureux pour elle, c’est ce sentiment de n’avoir jamais réussi à être en accord avec elle-même, au cours de toutes ces années. […] Au cours des dernières semaines qui précèdent la naissance de Max, un règlement de comptes s’effectue publiquement entre mes parents. Je découvre des frustrations, des douleurs, des chagrins, enfermés dans le silence de ces années. Je découvre des blessures mises délibérément en retrait et jamais refermées qui sourdent toujours, menaçantes, comme la marque tacite d’une impitoyable transmission dont nous avons déjà fait les frais, nous les enfants, et le pire reste peut-être à venir. »

Dans ce livre, Marie-Sophie Vermot parle plus largement de l’importance et de la difficulté de faire des choix dans sa vie, de la difficulté pour les parents de faire confiance à leurs enfants et de les laisser cheminer vers ce qu’ils ont choisi. Au final, peu importe la décision d’Irène. Nous ne sommes pas là pour critiquer, mais pour comprendre et respecter le choix qui sera le sien, quel qu’il soit.

 

Le +

  • L’accouchement sous X est un thème rarement abordé en littérature de jeunesse, surtout lorsque c’est la mère elle-même qui en parle.
  • Le récit est relaté avec beaucoup de subtilité et de précision, d’intelligence et de délicatesse, ce qui rend le choix d’Irène très humain.
  • À la base, je ne comprenais pas bien le choix des mères d’accoucher sous X. À la lecture de ce roman, j’ai ressenti beaucoup d’empathie pour Irène et son choix difficile et j’ai compris les raisons de son choix.

 

Le –

  • On pourrait reprocher au récit qu’il va surtout attirer les filles étant donné son thème.

 

Le coin des profs

  • Le thème est intéressant à aborder en ce qui concerne l’éducation à la sexualité, mais aussi la complexité de faire un choix difficile.
  • Dans ce récit, le poids de la transmission transgénérationnelle est lourd. La mère d’Irène est assez toxique dans la mesure où elle essaye de contrôler le choix de sa fille (pas uniquement concernant Max). C’est vraiment intéressant à exploiter avec les jeunes, cette question du contrôle, de la liberté par rapport à ses parents. Où est la limite ?

 

« Il y a ce gène de la transmission féminine, très élaboré, dans notre famille, qui est avant tout un gène de pouvoir et de manipulation, dont je suis la proie très tôt, quand ma mère s’obstine à faire de moi une musicienne, sauf qu’à cette époque, son obstination ne me dérange pas dans la mesure où je suis prête à tout pour obtenir son amour. J’ignore alors qu’avant moi, elle aussi a été victime d’un abus de pouvoir, au moment où ma grand-mère l’empêche d’épouser l’homme dont ma mère est folle amoureuse au prétexte qu’il lui sera infidèle et la rendra malheureuse. […] C’est notre histoire familiale, que ma grand-mère raconte. C’est le poids de la transmission qui nous poursuit et pèse sur nos vies et, comme dans les tragédies, il y a un prix à payer. […] Je ne peux pas garder Max, je le sais. Je ne veux pas qu’il débute sa vie dans ce climat de réprobation, de silences et de non-dits qui est la marque de ma famille. »

 

Mots clés

Accouchement sous X, amour, choix difficile, famille, grossesse, responsabilité

 

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Cher inconnu de Berlie Doherty

 

Infos pratiques

  • Thierry Magnier
  • 176p.
  • 13€
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