Soleil glacé (Séverine Vidal)

Soleil glacé (Séverine Vidal)

Résumé de l’éditeur

Comme si son premier chagrin d’amour ne suffisait pas, Luce apprend que son père – un homme qu’elle a à peine connu – vient de mourir. Et puisque la vie n’en a pas fini avec ses mauvaises blagues, elle découvre ce qu’il lui avait toujours caché : une autre famille. Mais la rencontre bouleversante de Luce avec Pierrot, un frère tout neuf et différent, va faire fondre son cœur glacé… Un grand roman contre les préjugés, qui célèbre l’énergie, la fantaisie, et la rage de vivre !

Mon avis

L’histoire nous plonge dans la vie de Luce, 20 ans, qui vient d’apprendre que son petit copain la largue parce qu’il est avec une autre fille. Comme si ça ne suffisait pas, elle apprend dans la foulée que son père vient de mourir d’une crise cardiaque. Elle ne l’a presque pas connu, car il les a abandonnés il y a longtemps, elle et sa mère ; elle garde donc de son père le souvenir d’un homme qui ne tient pas ses promesses, menteur et lâche. Aux funérailles de celui-ci, Luce rencontre une famille que son père lui avait cachée. Elle découvre sa belle-mère Marianne, mais aussi un demi-frère handicapé, Pierrot, et une demi-sœur, Pia, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à leur père.

« C’est étrange d’aller à l’enterrement de son père comme une invitée de plus. C’est sa sœur et son beau-frère qui ont tout géré. Je les connais très peu, ils ont toujours fait plus ou moins comme si je n’existais pas. On a reçu le faire-part, été mis au courant de l’horaire et de l’organisation, mais personne ne m’a demandé si je voulais dire quelques mots, par exemple, lors de la cérémonie. Je me sens donc, disons, « en trop ». Maman, n’en parlons pas, elle n’apparaît même pas sur le faire-part. On évoque ça alors qu’elle se gare devant le temple.

– Franchement, ça m’outre, dit-elle.

– C’est joliment dit, « samoutre », ça sonne bien. Donc « satoutre » alors ?

– Te moque pas, Luce. C’est pas le jour !

– Désolée, man’. C’est vrai, quoi, ils auraient pu mettre, euh… je sais pas, quelque chose, comme : « Son ex-compagne à qui il devait un max de blé et avec laquelle il n’avait pas échangé trois mots depuis quinze ans, Hélène Fitz, a la douleur de vous annoncer le décès brutal de celui qu’elle appelait à l’occasion, mais avec affection, ce petit enculé de Paul. » […]

Après une partie de rigolade et un début de conversation sur le système pileux d’Hélène, on arbore maintenant nos meilleures tronches d’enterrement. […] Mumu, la mère en chef, me serre fort en sanglotant :

– C’est bien que tu sois venue, Luce. Ça nous touche beaucoup. Vraiment.

Je pense : mais meuf, c’est mon père, là, dans ce machin en bois blanc verni. MON père, donc c’est logique que je sois là, je suis pas optionnelle !

Je dis pour la vexer et lui rendre sa pique (mais avec mon sourire le plus doux, je sais faire) :

– Ça me fait plaisir que vous soyez là, vous aussi. Il aurait été content. Vraiment. »

La découverte de cette famille cachée bouscule Luce, mais elle s’attache très vite à ce frère hors du commun, à ses tics et à ses grands sourires lumineux. Bien décidée à ne pas se laisser submerger par sa rupture et les non-dits de son père, Luce veut rattraper le temps perdu avec son frère et vivre tous les moments communs qu’elle aurait dû partager avec lui depuis sa naissance. Elle entre avec naturel et maladresse dans l’univers de son frère qui a presque le même âge qu’elle.

« Je suis terrassée par une émotion vive, complètement nouvelle : je me sens proche de cet inconnu qui est devant moi. Je sais qu’à partir de maintenant, dans ma vie, il y a ce grand type mal à l’aise, à l’étroit dans ses tocs et ses manies, qui se rassure en parlant beaucoup trop et en évitant le regard des autres. Et je l’aime d’un coup… »

Un jour, saturée par les recommandations de sa mère, sa belle-mère et le personnel soignant en sous-effectif de l’institution de Pierrot, elle décide de partir sur un coup de tête en Laponie pour rencontrer le Père Noël, une promesse de voyage faite par le père à Pierrot et bien évidemment non tenue. La voilà embarquée dans un voyage imprévu, sans argent et sans connaissance du handicap de son frère. Qu’à cela ne tienne, elle s’adapte au fur et à mesure qu’elle comprend le mode de fonctionnement de Pierrot, même s’il y a quelques malentendus au début. Le plus important pour Luce est de rattraper le temps perdu !

« C’est venu assez vite, le sentiment fort qui me relie à lui, ce p’tit con, c’est presque en volant que je me dirige vers sa chambre. Je m’imagine à la maternelle, si on avait été dans la même école, je l’aurais défendu, j’aurais tapé les grands qui l’auraient fait chier. Je lui éclaterais bien la tête à ce gros con de remplaçant. En attendant, j’ouvre la porte avec la douceur qui me reste (là, je ne suis que colère froide et envie de frapper).

Il est là, assis sur son lit, les bras croisés. Il a ce balancement timide, avant arrière, qui l’éloigne de moi, de lui-même aussi, du réel. Il est recroquevillé, un bloc de nerfs. Il se confine, tout près du mur.

– Pierrot, coucou, c’est moi.

Et comme il ne répond pas, je m’assois près de lui, l’effleure. Il se rétracte, rentre dans sa coquille, comme réduit de moitié. Je dois aller le chercher, là où il est, là où il a réussi à aller se cacher pour ne pas trop souffrir ; moi, j’ai mal pour lui. Il faut que je nous reconnecte, lentement, et c’est avec les mots que je le fais.

– Salut, p’tit con, ça a pas l’air d’aller.

Il tourne la tête vers moi, victoire miniature, mais ses yeux me traversent et se fixent ailleurs, sur quelque chose qui n’existe pas.

– Xave m’a raconté. Il paraît que le nouveau n’a pas été sympa.

Je m’attends à ce qu’il s’enferme encore plus, s’isole, parte encore plus loin, là où je n’arriverai plus à l’atteindre. L’inverse se produit : il transforme sa souffrance en un torrent de mots qui sont justement pour moi.

– Et en plus, il a crié, le nouveau, le nouveau a crié fort, il a dit à Théodore qu’il pue, c’est pas vrai qu’il pue Théodore, moi je suis Pierrot, j’ai dit « c’est pas vrai qu’il pue mon copain », c’est pas toujours mon copain, mais là, oui, c’est devenu mon copain, Théodore, parce qu’il pue pas. Le monsieur a dit « fais pas chier, toi, t’en mêle pas ». Et comme je m’en mêle, il dit « deux débiles, voilà ce que vous êtes ». Théodore sent bon et je suis Pierrot, pas débile.

Je bous.

– Je sais, je sais. C’est lui, le débile. Un vrai nul. Tu le sais, hein, Pierrot qu’il s’est trompé ? »

Il est impossible de s’ennuyer en suivant ce road trip où les 2 protagonistes font des rencontres improbables et cocasses, un voyage pimenté par le franc-parler et l’humour caustique d’une Luce en colère, ce qui nous promet des moments de lecture assez drôles !

« Impossible de dire vraiment comment les choses se sont enchaînées pour qu’on en arrive là. Il est évident que tout est de la faute de Pierrot, hein, moi je ne suis qu’une victime collatérale de l’attitude immature et du caractère complètement dérangé de mon frère. C’est bien simple, il n’y aurait eu que moi, je serais repartie gentiment. Sans faire de vague. Je me suis laissé entraîner sur la petite pente glissante de la débauche et de la rébellion. Tout ça pour un frère que je connais à peine. Un p’tit con. Mignon, le p’tit con. La situation est la suivante : actuellement, nous sommes au bord d’une route départementale du plus bel effet, à une quinzaine de kilomètres du gîte d’Andréa. Nous avons :

Des tronches de déterrés (la nuit fut courte),

Deux ablettes dans un sac plastique (la matinée fut longue, de mon point de vue),

Un caniche royal à nos côtés, répondant au double nom de Gainsbourg-Murène, tenu en laisse, bouclettes au vent, ridicule,

Les flics au cul (ça, c’est pas sûr sûr),

Les pouces levés (et un sourire forcé aux lèvres, haleine de poney en supplément pour le frangin qui a refusé net de se brosser les dents après avoir mangé un reste de camembert rôti au petit déjeuner).

Un bilan qui ne nous honore pas.

Voilà, globalement, les raisons que je pourrais invoquer si la gendarmerie/ Marianne/ ma mère et Hélène/ le foyer de Pierrot/ le véto à la retraite/ mon père très mort en venaient à me demander des explications. »

Ce voyage va-t-il finir en catastrophe ou va-t-il réserver de belles surprises à Luce et Pirrrot ? On croit peu à l’aboutissement de la destination finale et finalement, ce n’est pas le plus important. J’ai été très touchée par ce duo de frère et sœur très différents : la naïveté et le besoin de rituels de Pierrot se marient bien, contre toute attente, avec l’énergie et la colère de Luce, ça fonctionne, le voyage étant essentiellement la découverte de l’autre et le développement de cet amour fraternel manqué au début. Un roman très touchant et très drôle !

Le +

  • Le style de l’autrice est fluide et percutant, il plaira aux ados.
  • L’autrice se met bien à la place des adolescents et les laissent s’exprimer comme tels, ce qui rend le récit authentique : le langage crû de Luce aurait aussi pu tomber comme un pavé dans la mare car quand les auteurs cherchent à imiter le langage parlé des jeunes, ça peut sonner faux, mais ce n’est pas le cas ici : ça sonne juste.
  • Le récit est entrecoupé de lettres que Luce écrit à son père et où l’on sent tout le cheminement qu’elle fait au contact de son frère, c’est assez intéressant.

Le –

  • Le road trip improvisé est peu crédible, mais la relation entre Luce et Pierrot est tellement touchante qu’on a tendance à mettre de côté ce détail.
  • Je me suis demandé au début du récit pourquoi Luce tissait un lien aussi fort avec son demi-frère et pas sa demi-sœur. Je suppose que l’âge et le handicap ont fait la différence, mais ça m’a tout de même interpellée.

Le coin des profs

Le roman ne présente pas de difficulté de lecture et est une bonne porte d’entrée pour aborder les secrets de famille et le handicap.

Niveau de lecture

Intermédiaire

Genre

Road trip

Mots clés

Acceptation, colère, deuil, famille, désobéissance, double vie, handicap, homosexualité, rage de vivre, repli, road trip, rupture amoureuse, secret

Vous aimerez ce récit si vous avez aimé…

Simple, Marie-Aude Murail

Infos pratiques

  • À partir de 15 ans
  • Robert Laffont
  • 245p.
  • 17,25€
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