Une fille de… (Jo Witek)

Une fille de… (Jo Witek)

Résumé de l’éditeur

Hanna aime courir. Le long de la ligne verte, elle avale les kilomètres de chemin quatre fois par semaine. Dans ces moments, elle est libre, forte, entraînée. Loin de la douleur et de l’humiliation. Hanna est la fille d’Olga, prostituée ukrainienne. Et pour Olga, pour toutes les femmes qui vendent leur corps, elle décide de ne plus avoir honte. De relever la tête et de raconter son histoire, au rythme de sa course.

 

Mon avis

Ce beau texte raconte l’histoire d’Hanna, la fille d’Olga, qui est une prostituée ukrainienne droguée de force, enlevée, emprisonnée dans un « camp d’entraînement » et arrivée en France par un réseau de prostitution (comme dans le film Chaos avec Catherine Frot et Vincent Lindon). Hanna court à perdre haleine, parcourt des kilomètres quatre fois par semaine, s’évade, fuit parfois, se forge un moral de championne pour résister aux insultes, à sa peur de l’avenir et à son questionnement sur l’amour. Au rythme de ses foulées, elle court pour se protéger, pour ne plus penser, pour exister (« chaque fois que je m’élance, c’est vers moi que je cours »).

« Comment me protéger ? Comment éviter que l’on fasse de mon corps un terrain de jeux sexuels uniquement parce que je suis née fille de prostituée ? Je ne trouve pas de réponse, alors je pars courir. Un instinct. Ma sauvagerie à moi. Courir pour gagner ma dignité. Courir pour me sentir unique sur terre. Courir pour exister. Me forger un moral de championne, un corps solide, musclé, entraîné. Un corps qu’on ne piétine pas. Qu’on n’avilit pas. Qu’on ne dompte pas. Courir pour que mon corps n’appartienne qu’à moi. »

Hanna vit difficilement le métier de sa mère : elle doit esquiver les attaques gratuites, le mépris et la honte qui en découle. À chaque fois qu’elle court, Hanna nous raconte son histoire et celle de sa mère. Nous découvrons comment la jeune fille vit naturellement dans cet univers singulier, côtoyant au quotidien la violence, la solitude, la drogue, mais l’amour aussi. L’amour profond d’une mère pour sa fille née d’un père inconnu. L’amour farouche et protecteur d’une mère qui veut tout donner à sa fille pour qu’elle ait une vie meilleure qu’elle.

« J’en crève de tout cacher. J’en crève de voir ma mère rentrer au petit matin complètement shootée, dévastée, épuisée. Elle pue ma mère parfois, elle revient avec l’odeur des hommes, l’odeur de la rue, des bagnoles ou des toilettes publiques. L’odeur des clopes, de l’alcool, de cannabis, de sueurs et de mensonges, la puanteur de l’argent, du trafic […] La honte a une odeur, la misère aussi et ce sont celles de ma mère. Pourtant, elle est coquette, élégante, maman, c’est son métier qui pue. […] Ma mère, elle est propre. Elle fait tout pour que je travaille bien en cours et que je ne manque de rien. Elle est une maman comme les autres. C’est ça que je voudrais hurler au monde, aux professeurs, au lycée. Ma mère se prostitue, c’est vrai, mais je l’aime, ma mère, et je suis fière d’elle, parce qu’après ce qu’elle a vécu et ce qu’elle vit encore, elle a réussi à m’offrir de l’amour, beaucoup d’amour. »

Hanna s’est forgé une muraille de protection : elle travaille bien à l’école, ne se lie d’amitié avec personne et ne fait confiance à personne. Elle y trouve plus ou moins son équilibre, jusqu’au jour où elle croise un jeune coureur qui la regarde d’abord, puis essaye de la connaître. Lorsqu’elle sent les papillons dans son ventre pour la première fois, la muraille se lézarde, elle est perdue : que doit-elle faire ? Fuir ou accepter l’approche de Nolan ? Oser dire qui elle est ?

Une fille de… est publié dans la collection « D’une seule voix » chez Actes Sud junior. Le principe dans cette collection est qu’un seul personnage parle, le récit pourrait être déclamé comme un monologue théâtral. Ici, le monologue d’Hanna prend tout son sens car l’auteure nous livre les mots percutants d’un ado hors d’haleine, mais on retrouve souvent ce type de récit dans la collection.

Malgré la dureté du sujet, Jo Witek a la finesse de ne jamais nous faire basculer dans la vulgarité : elle nous montre sans fard une réalité brute et un personnage écorché par la vie qui veut s’en sortir. Ce texte est fort, intelligent et touchant, il sonne comme une confession vibrante et sensible. Bref, à lire !

 

Le +

  • Les textes de la collection « D’une seule voix » ne m’ont jamais déçue : ils sont courts et ciselés, comme des bonnes pièces de théâtre où il y a un juste milieu entre ce qui est dit et ce qui ne l’est pas.
  • Le récit aborde un sujet sensible avec beaucoup d’humanité.
  • La singularité de l’histoire tient le lecteur en haleine du début à la fin.
  • Le récit est relaté avec dignité, sans voyeurisme ou misérabilisme.
  • La force du lien entre Hanna et sa mère, la façon dont elles essayent de se protéger l’une l’autre, c’est très touchant.

 

Le –

  • Je n’en vois pas.

 

Le coin des profs

  • Il vaut mieux bien respecter la mention pour les lecteurs « à partir de 15 ans », pas avant.
  • Le sujet est délicat à aborder, mais l’auteure l’explore habilement. Cela n’empêchera pas certaines remarques un peu « ras des pâquerettes » d’élèves un peu moins mâtures, mais elles peuvent être un prétexte pour aborder les clichés et stéréotypes véhiculés sur les prostituées et leurs enfants.
  • Le texte est intéressant pour aborder des thèmes sociaux comme la question de la norme et la déviance, de la réglementation de la prostitution.

 

Mots clés

Amour, identité, origine, prostitution, sport, résilience

 

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Une vie devant soi de Romain Gary

 

Infos pratiques

  • À partir de 15 ans
  • Actes Sud junior (collection « D’une seule voix »)
  • 96p.
  • 9€

 

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