Combien de pas jusqu’à la lune (Carole Trébor)

Combien de pas jusqu’à la lune (Carole Trébor)

Résumé de l’éditeur

Dans les années 1920, en Virginie occidentale, Joshua et Joylette habitent une modeste ferme avec leurs quatre enfants, à qui ils transmettent leur curiosité du monde et une dignité teintée de modestie. « Vous êtes aussi bons que n’importe qui dans cette ville, mais vous n’êtes pas meilleurs », ne cesse de répéter le père. Katherine, la benjamine, passe ses journées à compter. Elle calcule le nombre de pas pour aller à l’école, mesure la hauteur des arbres, se questionne sur la distance qui sépare la Terre de la Lune… Grâce à ses capacités exceptionnelles, elle entre au lycée à 10 ans, puis obtient ses diplômes universitaires à 18. Elle commence ensuite une carrière de professeure, mais c’est un autre avenir qui l’attire…

Dans une Amérique où les droits des Noirs et des femmes restent encore à conquérir, elle trace consciencieusement sa route dans l’ingénierie aérospatiale à la NACA puis à la NASA. Et au fil des ans, malgré les réticences d’un milieu masculin marqué par la ségrégation et une forme de misogynie, elle prouve sa légitimité par l’exactitude de ses équations et l’ingéniosité de ses raisonnements. Et c’est à elle qu’en 1962, l’astronaute John Glenn demande de vérifier la justesse des calculs de sa trajectoire avant de partir en orbite autour de la Terre. Sept ans plus tard, on lui confie le calcul de la trajectoire d’Apollo 11. Objectif visé : la Lune. Dans l’ombre des hommes, Katherine fait, à sa manière, également décoller les droits des femmes et des Noirs.

Mon avis

Ce livre retrace l’enfance d’une femme qui a réellement existé, Katherine Coleman, à travers son adolescence, ses débuts en qualité de professeure de mathématiques où elle allie son rôle d’épouse et de mère, puis sa carrière à la NACA qui deviendra par la suite la NASA. C’est grâce aux savants calculs de Katherine que John Glenn put sereinement partir en orbite autour de la Terre ou que Neil Armstrong et ses coéquipiers purent rentrer sains et saufs après avoir posé le pied sur la Lune. Mais ce roman nous apprend aussi beaucoup sur l’histoire, sur un XXe siècle en pleine mutation. Katherine était intelligente, mais elle avait 2 gros défauts, considérés comme des handicaps à l’époque : c’était une femme et elle était noire. Elle a heureusement pu s’imposer dans un monde d’hommes blancs, par de petits pas et des petites victoires. Sa vie est un exemple à elle seule, montrant qu’on a raison de croire en ses rêves et qu’ils peuvent se réaliser.

Sa réussite s’explique par ses parents, qui l’ont toujours encouragée à être curieuse de tout et poser des questions, mais elle a aussi eu la chance d’avoir des enseignants qui l’ont encouragée à aller toujours plus loin. Cela commence par sa maîtresse d’école, Angie Turner, qui lui a donné des problèmes toujours plus ardus à résoudre et qui lui a fait sauter plusieurs classes. À 10 ans, Katherine est entrée à la High School, a découvert l’astronomie grâce au directeur Sherman Gus, tandis que son aîné Horace a partagé avec elle son goût pour l’aéronautique. L’été, elle perfectionnait son français en travaillant au Greenbrier, une station thermale de luxe. Curieuse et déterminée, elle était douée dans bien des domaines et a intégré l’université à 14 ans. Après l’obtention de son Bachelor Degree, elle est devenue enseignante, le seul poste qu’une femme noire diplômée pouvait espérer obtenir (« en 1940, 2% des femmes noires sont titulaires d’un diplôme universitaire et 60% de ces femmes deviennent enseignantes »).

La ségrégation, Katherine n’en a pas trop souffert dans son enfance : en Virginie-Occidentale, il n’y a jamais eu de lynchage, l’État était plutôt tolérant. La fratrie Coleman a toutefois effectué ses études dans des établissements réservés aux Noirs. Certains clients blancs du Greenbrier étaient parfois méprisants, mais ses parents ont toujours conseillé à l’adolescente de rester calme et humble, parce que la moindre protestation peut avoir de graves conséquences, sans pour autant oublier que « les Blancs ont le pouvoir, mais ne sont pas plus intelligents que toi ».

À l’époque, il était difficile pour les Noirs (d’autant plus pour les femmes) d’accéder à de hauts postes de scientifiques ou d’ingénieurs, ceux-ci étant maintenus en bas de l’échelle sociale malgré de brillantes études. J’ai beaucoup aimé la philosophie des enseignants de Katherine : « quand le monde changera, toi, tu seras prête », un avis que partageait son professeur William Claytor qui, comme beaucoup de ses confrères, « prépare ses élèves à travailler dans un monde où ils auraient le droit d’occuper des métiers en fonction de leurs mérites et non de la couleur de leur peau ». La suite des événements lui a donné raison.

Lorsque Katherine a intégré la NACA (le Comité consultatif national pour l’aéronautique) qui deviendra la NASA en 1958, elle a fait l’objet de nombreuses mesures discriminatoires (elle subissait la ségrégation dans les bus, ses collègues blancs ne partageaient pas leur café et les WC avec elle, leur salaire était très différent…), elle a dû se battre dignement, tout en s’efforçant d’accomplir un travail irréprochable car elle était bien consciente que certains collègues attendaient une erreur de sa part pour prouver son incompétence de femme noire. Ce qui l’a aidée dans ce combat, c’est sa ténacité. Son nom n’était jamais mentionné nulle part dans les rapports scientifiques, même si les ingénieurs étaient conscients de sa valeur professionnelle.

– Bonjour, monsieur, j’aimerais visionner les enregistrements photographiques des signaux du Piper qui s’est écrasé.

– Ah oui ? répliqua-t-il d’un ton sarcastique. Et vous pensez peut-être réussir à mieux faire que mon groupe d’ingénieurs tout entier ?

Le cerveau en ébullition, Katherine réfléchissait à toute vitesse. L’agacement manifeste de son chef était aussi périlleux pour elle qu’arpenter le bord d’une falaise par jour de tempête. Un seul faux pas, et elle chuterait. Elle cherchait un moyen d’être diplomate, respectueuse et humble tout en donnant envie à son responsable de lui confier cette mission. Elle devait lui montrer ce qu’elle apporterait de nouveau. Si elle réussissait à le convaincre qu’elle avait bel et bien une chance de trouver la réponse, Henry Pearson accepterait de lui déléguer cette enquête. L’importance qu’il accordait à l’aboutissement des recherches de son Département pèserait plus dans la balance que sa réticence à déléguer une telle responsabilité à une femme, noire de surcroît.

– Pas mieux, mais différemment, monsieur. Mon analyse des données mathématiques pourrait peut-être apporter un autre éclairage de l’événement ? »

Cette biographie minutieusement documentée fait très bien connaître la vie de cette mathématicienne méconnue du grand public. J’ai beaucoup aimé découvrir ce personnage !

« En tant que femme, elle avait combattu, par la seule force de son esprit, le refus des hommes de lui accorder la place qu’elle méritait ; en tant que scientifique, elle avait combattu, à travers ses prouesses, le dénigrement de ses recherches par des ingénieurs injustes ; en tant que Noire, elle avait combattu, de toute sa dignité, le rejet et le racisme des Blancs. Il était impossible de bâillonner son esprit, comme il avait été impossible de lui barrer la route jusqu’à la Lune. »

Le +

  • Le destin hors du commun de Katherine est intéressant à découvrir.
  • Le devoir de mémoire par rapport à la ségrégation raciale me paraît très important car encore sous-estimé dans les blessures portées par les familles racisées.
  • La misogynie qui considère les femmes comme inaptes aux postes hauts placés dans des domaines scientifiques pointus est encore brûlante d’actualité, malheureusement.

Le –

  • Le récit est très bien documenté (il y a beaucoup de notes en bas de pages), mais l’autrice est parfois trop explicative (j’ai zappé les notes dans la dernière partie du récit).
  • Le personnage de Katherine est présenté comme quelqu’un de lisse et héroïque. Elle n’a jamais un mot plus haut que l’autre et aucune ambivalence, aucun doute ne semble la caractériser. Elle manque de relief, de failles qui la rendraient plus humaine (ici, elle est « réduite » à ses capacités intellectuelles).

Le coin des profs

Le récit est une bonne porte d’entrée pour faire découvrir un personnage historique, mais aussi l’histoire des États-Unis et le combat de Katherine contre le racisme et la misogynie.

Niveau de lecture

Intermédiaire

Genre

Roman historique

Mots clés

Combat, États-Unis, famille, femme, noirs, mathématiques, misogynie, parcours scolaire, racisme, ségrégation

Vous connaissez ce récit si vous avez aimé…

La couleur des sentiments, Kathryn Stockett

Infos pratiques

  • À partir de 13 ans
  • Albin Michel
  • 431p.
  • 17,25€
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