Et la une, là-haut (Muriel Zürcher)
Résumé de l’éditeur
Alistair a 22 ans et sa mère lui a toujours défendu de sortir de chez eux. Trop dangereux. Pourtant, Alistair est bien décidé à vivre son rêve : aller sur la Lune. Mais comment faire, quand on n’a parlé à personne d’autre qu’à sa mère et qu’on n’est jamais allé plus loin que le pas de la porte de son appartement ?
Mon avis
L’histoire commence de façon un peu surprenante : Alistair découvre que sa mère est morte pendant la nuit. Il se renseigne un peu sur internet et décide de l’inhumer dans le canapé avec un aspirateur et une housse en plastique, pour qu’elle continue à regarder « Plus Belle la Vie » et il tente de joindre l’horloge parlante pour prévenir les proches du décès. Son comportement et ses réflexions nous mettent immédiatement la puce à l’oreille : il a officiellement 22 ans, mais son comportement particulier nous indique qu’il a eu une enfance particulière.
« 6 h 32, c’est l’heure à laquelle le réveil sonne (du lundi au vendredi sauf les jours fériés), mais j’attends toujours 34 pour me lever. Je n’oublie pas de rabaisser la lunette des WC. Après la douche, je m’habille. Maman déteste les joggings, alors je porte des pantalons larges en brun ou noir, ceux en velours avec des poches sur le côté et 3 % d’élasthane. C’est en passant dans le couloir pour rejoindre la cuisine, à 7 h 02, que je remarque une absence. Ça ne sent pas le café. »
Alistair se retrouve seul, sans famille, et on comprend qu’il ne peut pas prendre en charge les démarches administratives de l’inhumation de sa mère et qu’il ne peut pas se prendre en charge lui-même non plus. On sent qu’il est un être à part, plus doué pour les sciences que pour les relations sociales. Il a en plus le don de provoquer des rencontres inattendues. Le voilà très vite flanqué du chien que la voisine a abandonné et sa route croise dans la foulée celle de Yaro, un jeune sans-papiers qui se débrouille comme il peut et qui espère d’abord profiter de la naïveté d’Alistair pour le spolier, mais qui se laisse très vite attendrir par son côté décalé.
Commence alors un tandem improbable, dont les péripéties donnent naissance à une subtile alchimie qui pourrait bien les aider à trouver chacun sa place. D’un côté, nous avons Alistair qui est très intelligent et qui a été hyper protégé par sa mère, au point qu’il n’est quasi jamais sorti de son appartement. De l’autre côté, nous avons Yaro, un sans-papier qui aime bien plumer les nigauds. Les deux personnages sont le jour et la nuit, mais plusieurs éléments les unissent : le sentiment d’insécurité, le rêve, l’obstination, la compassion, etc.
« Il connaît ces moments où on est sûr de soi, où on se sent invulnérable. C’est toujours à cet instant précis que la vie décide de passer à l’attaque. De faire trébucher pendant l’évaluation d’athlétisme, de faire avaler de travers à la cantine quand LA fille vient de s’asseoir juste en face, de faire éternuer au moment de l’embrasser, de faire arrêter la famille alors qu’on avait presque oublié que ça risquait d’arriver. Ces attaques-là sont celles qui blessent, des égratignures au cœur qui, à force d’être répétées, finissent par ouvrir de larges plaies. »
Il est difficile d’imaginer une histoire qui commence par une rencontre pareille et pourtant, ça fonctionne ! On aurait presque du mal à y croire, tant les rebondissements et les concours de circonstances sont rocambolesques. Si on fait abstraction de la question de la vraisemblance pour se laisser entraîner par le grain de folie et le vent de bonne humeur qui traversent cette histoire, il est impossible de lâcher sa lecture. Avec une belle énergie et une naïveté rafraîchissante qui n’ont pas été érodées par les épreuves de la vie, Alistair nous emmène à l’assaut de ses rêves les plus fous. Eh oui, il veut aller sur la Lune, rien que ça !
Le récit présente l’alternance des points de vue d’Alistair à la première personne et de Yaro à la troisième personne. Les chapitres sont numérotés comme le compte à rebours du lancement d’une fusée. Le chapitre dix, le premier donc, démarre fort avec la présentation d’Alistair, ce génie en maths dont le comportement décalé va révéler des troubles des interactions sociales, face à celui qui va représenter la norme, Yaro (eh oui…).
« – Alors, dis-nous, Alistair, demande Sidonie, pourquoi tu veux aller sur la Lune ?
– Pour ramasser la poubelle.
– Quelle poubelle ?
– Celle que Neil Armstrong a sortie du module lunaire juste après l’alunissage. Quand ils sont repartis, ils l’ont laissée là-bas. C’est un sac résistant, mais quand même, laisser ses ordures sur la Lune, c’est sale.
Yaro cesse soudain de manger.
– C’est quoi cette histoire de poubelle, tu m’en as jamais parlé !
– Tu ne m’as jamais demandé pourquoi je voulais aller sur la Lune.
– J’y crois pas ! T’es vraiment un grand malade, mec… On va pas sur la Lune pour ramasser la poubelle !
– Pourquoi, alors ?
– J’en sais rien moi ! s’emporta Yaro. Pour se rapprocher des étoiles, pour goûter au vide de l’espace, pour faire le buzz, pour savoir si on a des couilles, pour devenir un héros et avoir ses papiers, y a plein de raisons, mais pas ça, pas pour ramasser la poubelle, merde.
Yaro enfourne une fourchette d’omelette dans sa bouche, l’avale et répète d’un ton plus calme :
– On ne va pas sur la Lune pour ramasser la poubelle.
– C’est un motif qui n’est pas plus idiot qu’un autre, dit Sidonie. »
Les personnages secondaires sont aussi assez intéressants : il y a Sidonie, une généreuse et exubérante bénévole d’une association d’aide aux réfugiés ; Georges, un inspecteur de la caisse de retraite romantique ; Azèle, une jeune artiste aux manières étranges ; d’autres encore, viennent compléter ce tableau haut en couleurs. J’ai beaucoup ri en lisant les dialogues cocasses entre Alistair, Yaro et les autres personnages, même si l’histoire se passe sur un fond de maltraitance involontaire.
« La plupart des gens s’arrêtent à ce qu’ils voient, sans creuser au-delà. Ils me regardent, ils voient une grosse, ils te regardent, ils voient un Noir, et il ne leur faut pas longtemps pour ranger Alistair dans la catégorie des inadaptés. Mais il y a de rares personnes qui voient les choses autrement. C’est bizarre, d’ailleurs, ce phénomène mystérieux qui fait qu’un être humain perçoit l’écho créé par un autre. Et ça n’a rien à voir avec l’éducation, la culture, le niveau de vie ou n’importe quel autre élément objectif. Ils sont comme ça, c’est tout. Les pourris qui en sont capables deviennent des manipulateurs experts qui servent leur cause personnelle. Les gentils subissent les embêtements que ça amène. Toi, tu es de ceux-là. »
L’histoire nous rappelle qu’on a tous subi des épreuves, mais que nous avons aussi de rêves qu’il ne faut pas forcément lâcher trop vite ou réaliser tels quels. Et la lune, là-haut nous aide à nous reconnecter à notre enfant intérieur et nous incite à voir la vie du bon côté. J’ai beaucoup aimé lire cette histoire lumineuse, simple et intelligente. Un roman d’amitié et de résilience qui donne la pêche !
« – Maintenant, il ne me reste plus qu’à me trouver une fusée.
– Tu crois pas que ce serait plutôt le moment d’arrêter ton délire ?
Yaro, il est bizarre, parfois. Je ne comprends pas sa question.
– Quel délire ?
– Faudrait penser à une solution B, tu vois. Au cas où la Lune serait pas sur le tableau des départs. T’as pas un autre truc à faire ? Je sais pas moi, apprendre le japonais, faire des origamis. Tu pourrais aller sur un volcan et te faire griller des chamallows dans la lave !
– Ce serait idiot. Il y a du dioxyde et du sulfure d’hydrogène qui se dégagent de la lave, ça donnerait un mauvais goût.
– Laisse courir, va… à ce rythme-là, t’auras plus vite fait d’aller sur la Lune. »
Le +
- L’autrice nous donne à lire un récit très touchant entre 2 héros blessés chacun à leur façon. Elle aborde leur histoire avec beaucoup d’humanité et d’humour.
- Les personnages sont attachants et ont chacun une voix très particulière. On ne peut qu’éprouver de l’empathie pour la gaucherie et l’obstination d’Alistair (même si on a parfois envie de le secouer comme un prunier) et pour le comportement de Yaro qui monte très facilement dans les tours.
- J’ai trouvé que le happy end manquait de crédibilité, mais honnêtement, il fait du bien…
Le –
Cette rencontre improbable qui se transforme en amitié est peu crédible, mais si on la prend au second degré, qu’est-ce que ça fait du bien…
Le coin des profs
Le roman est une belle occasion pour avoir un moment de lecture au second degré, mais aussi pour aborder la problématique des personnes précarisées (sans famille ou sans papier).
Niveau de lecture
Intermédiaire
Genre
Drame loufoque
Mots clés
Amitié, arnaque, deuil, entraide, famille, négligence, précarité, rêve, sans-papier
Vous aimerez ce récit si vous avec aimé…
Robin des graffs, Muriel Zürcher
Infos pratiques
- À partir de 13 ans
- Thierry Magnier
- 332p.
- 14,50€