Le fracas et le silence (Cory Anderson)

Le fracas et le silence (Cory Anderson)

Résumé de l’éditeur

C’est l’hiver, quelque part dans l’Idaho. Le ciel est noir et il fait un froid à fendre les os. Jack, dix-sept ans, n’a plus d’espoir, plus d’avenir, personne sur qui compter. Hormis son petit frère Matty, pour lequel il serait prêt à se sacrifier. Depuis la mort de leur mère, leurs ressources sont de plus en plus réduites. Jack n’a plus le choix : pour éviter de devoir confier son frère à un orphelinat, il doit trouver l’argent sale qui a envoyé son père en prison.

Ava a le même âge. Sa vie n’est que solitude, secret, silence. Son père, qui lui a appris à n’aimer personne, à ne faire confiance à personne, est sur les traces du même butin que Jack. Quand le chemin des deux familles se croise, Ava doit faire face à un dilemme : garder les secrets de son père ou aider les deux frères à survivre…

Mon avis

Jack, 17 ans, vient de retrouver sa mère pendue tandis que son père purge une peine de prison. Du coup, il doit gérer son petit frère Matty : il est difficile de démarrer avec un fondement d’histoire plus glauque, surtout que nous avons les détails (notamment quand Jack décroche sa mère qui lui tombe dessus)… À ce tableau lugubre s’ajoutent la menace d’une intervention des services sociaux et la saisie de la maison familiale. Alors, Jack décide de taire le suicide maternel à l’administration pour fuir avec Matty.

Jack se débat ainsi pour sauvegarder la cellule famille limitée à son petit frère. À ses côtés, Ava, une jeune fille de son lycée, vient apporter un secours providentiel. Malgré sa débrouillardise et sa générosité, elle laisse planer un certain mystère, car sur elle aussi pèse le poids d’une défaillance parentale, mais Jack ne le saura pas tout de suite.

Cette histoire est celle de la rencontre de 2 familles ravagées dans l’Idaho sauvage. D’un côté, celle de Jack est brisée et démunie depuis l’arrestation de son père. Lorsque l’adolescent trouve sa mère morte, ce n’est que l’amour envers son petit frère qui le retient de sombrer à son tour. La seule issue qu’il entrevoit pour assurer leur survie, c’est de trouver la somme en liquide qui a envoyé son père en prison. Le hic, c’est que c’est un butin que convoite également le père d’Ava. La collision des destins de ceux qui n’auraient jamais dû se rencontrer ne laisse personne indemne. Inscrite dans un monde chaotique où on ne peut se fier à rien ni personne, cette traque place le récit sous haute tension, avec force courses-poursuites, planques et péripéties où tout semble possible.

Soyez prévenus, le propos est sombre, presque suffocant. Précarité, suicide, drogues et crime font intrusion dans des enfances où elles ne devraient rien avoir à faire et personne ne semble réellement à même de rétablir une forme d’ordre. Le traqueur est un vrai psychopathe mû par une quête froide et implacable. Jack et Ava, au contraire, sont emplis de failles. L’un oscille entre colère et impuissance face au poids de son histoire familiale, mais aussi une volonté extraordinaire de préserver Matty.

« Il serra la main du gérant.
–        Comment tu t’appelles ? demanda l’homme.
–        Jack, m’sieur. Jack Dahl.
Les doigts du vieil homme se relâchèrent. Son visage se tordit, tout en angles et aspérités. On aurait dit qu’il avait mal.
–        Dahl.
Jack ne bougea pas. Tout commença à basculer en lui, à basculer et se désagréger. Un brusque sentiment de perte s’abattit comme une masse sur l’intérieur de ses côtes.
–        Tu es le fils de Leland Dahl ?
Il resta immobile, gagné par une lente paralysie.
Le gérant retira vivement sa main, comme si on l’avait mordu. Ses yeux perforèrent Jack, atteignirent des endroits à vif, ouverts.
–        C’est ça, hein ?
Jack essaya de parler, mais sa voix refusait de sortir. Sur le mur, une tête de cerf empaillé l’observait.
« Je te connais », cracha le gérant. Il s’était mis à trembler de tout son corps et Jack crut qu’il allait s’effondrer. « Je connais ta famille. »
Des mots, à présent. Arrachés à sa gorge :
–        S’il vous plaît. Je travaillerai dur.
Le gérant secoua la tête.
–        Je te connais.
–        S’il vous plaît. J’ai besoin de ce travail.
–        Sors de mon magasin.
–        Je ne suis pas comme lui.
–        Gamin… Ton père est un trafiquant de drogue et un criminel. Ta mère est une garce droguée jusqu’aux yeux. Qui te ferait confiance ?
Jack resta figé encore une seconde. Cinq. Dix. Puis il tourna les talons et sortit du magasin.  »

De son côté, partagée entre l’ascendant de son père et un élan spontané envers les deux frères, Ava ne sait plus si elle doit fortifier ou laisser se lézarder les barrages qu’elle a construits pour se prémunir de la dureté du monde : la brûlure est-elle préférable au froid, le fracas au silence ?

La tension est omniprésente de la toute première page à la toute dernière page, le suspense est haletant. Difficile d’envisager un avenir heureux pour ces trois gamins, on angoisse à l’idée de ce que va leur réserver le chapitre suivant. La plume de Cory Anderson est ciselée, brute, saccadée et authentique. Les dialogues sont brefs, parcourus de mots lourds, pesés, millimétrés. Il n’y a aucune place pour le superflu, les fioritures.

Les chapitres commencent tous par les mots d’Ava, comme un journal intime qui s’adresse à nous, lecteurs, et qui tente de nous préparer au pire. Ce livre a tellement marqué les maisons d’éditions qu’il est sorti dans deux d’entre elles, à la même date, avec le même texte. La seule chose qui change, c’est la couverture. Fleuve éditions et les éditions Pocket jeunesse ont donc choisi de promouvoir ce texte simultanément pour conquérir un plus large public. C’est assez intéressant comme stratégie, mais je dois avouer que je suis assez surprise que ce roman soit conseillé à un public jeune : il est très noir.

« On a retrouvé l’homme au bord de la Route 20. Tout le monde a dit que le père de Jack l’avait tué. Mais c’était faux. J’ai l’impression que la plupart de gens ne croient plus au bien ni au mal. Il vous sourient d’un drôle d’air quand vous en parlez. Comme si vous aviez vu trop de films, ou je ne sais quoi. Mais je peux vous le dire : le mal existe. J’ai vu son visage. Purement et simplement. J’ai entendu sa voix. Je l’ai regardé dans les yeux. Et quand vous voyez le mal en face, vous le savez. Vous ne vous posez même pas la question. »

L’éditeur qui a ciblé la jeunesse, c’est probablement à cause de l’âge des protagonistes où le vécu assez mature de notre héros les attirera. Avec sa force de caractère, il assume de prendre en charge son petit frère. Mais selon moi, le livre retentira plus auprès d’un lectorat expérimenté et mordu de lecture, car certaines longueurs se font sentir même si l’autrice a inclus l’introspection de plusieurs personnages. Des filatures, des bagarres, de la violence, des jeux d’armes assaisonnent l’intrigue avec une impression de dynamisme. Ainsi, la pression subie par la fratrie offre un suspense, augmenté par la présence d’Ava dont l’altruisme providentiel suggère une ambiguïté dans sa sincérité. Elle compense la violence des menaces qui les frappent à leur insu. Livrés à eux-mêmes, surveillés par la police et traqués par un homme sans scrupule, ils ne connaissent aucun répit.

J’ai beaucoup aimé ces personnages forts, complexes et puissants. L’autrice offre avec ce roman un véritable coup de poing sur ce que signifie la précarité. On croit souvent que ça n’arrive qu’aux autres, mais un enchaînement d’événements malheureux pourrait tous nous mener à de telles extrémités.

« C’est une sensation qui ne disparaît jamais vraiment, dit-il. Cette impression… que rien ne va. Comme quand on rêve, et qu’on croit qu’on est réveillé, mais qu’on sait que quelque chose cloche. Quelque part, la vie a déraillé. Elle n’est pas normale. Tout est faux. Et on a beau essayer, on n’arrive pas à se débarrasser de l’idée qu’il y a un problème. On le sait, c’est tout. Cette vie n’est pas comme elle devrait être. »

Le +

  • J’ai beaucoup aimé cette histoire puissante et ses héros forts et fragiles à la fois.
  • Le rythme haletant est un atout indéniable du récit.
  • La couverture emplie de mystère est assez attrayante.

Le –

On peut reprocher la noirceur à l’histoire, mais on sait d’entrée de jeu que ça va décoiffer.

Le coin des profs

Le récit n’est certainement pas à mettre dans toutes les mains en raison des scènes violentes. Les courses poursuites et les bagarres passent encore, mais un Jack qui décroche et enterre sa mère pendue dès les premières pages de l’histoire, c’est hard.

Niveau de lecture

Intermédiaire

Genre

Thriller

Mots clés

Amour, courage, défaillance parentale, délinquance, drogue, défaillance, famille, fraternité, générosité, haine, précarité, préjugés, rapport à l’autorité, services sociaux, suicide, traque, violence

Vous aimerez ce récit si vous avez aimé…

Keep hope, Nathalie Bernard

Infos pratiques

  • À partir de 15 ans
  • Pocket jeunesse junior
  • 396p.
  • 18,90€
Partager sur vos réseaux sociaux
Les commentaires sont clos.