Météore (Antoine Dole)
Résumé de l’éditeur
Née garçon, Sara se sait être fille depuis la prime enfance. Avant même de pouvoir le formuler, de le comprendre. Mais elle a dû grandir emprisonnée dans un corps subi, moulée dans les lois de la masculinité, à ne pas pouvoir supporter son reflet dans un miroir. Une erreur ? Une anomalie ? Il fallait un changement, un réalignement de ce corps, et c’est à seize ans que Sara débute sa transition pour être celle qu’elle est, se sentir enfin vivante. S’autoriser à être un météore que plus rien n’arrête, même pas les coups et les insultes. Un monologue saisissant et maîtrisé sur un sujet trop longtemps tabou. Un plaidoyer pour la tolérance.
Mon avis
Depuis toujours, Sara se sent différente. Elle n’arrive pas à aimer ce corps de garçon qui est le sien et dont elle se sent prisonnière. La haine la consume face à l’image que lui renvoie son miroir. Malgré tous ses efforts pour rentrer dans la norme, elle s’enfonce dans les ténèbres. Rejetée, méprisée, humiliée, le regard des autres la détruit peu à peu. Sara se noie à cause de cette enveloppe corporelle qui ne lui correspond pas, qui l’entrave et l’asphyxie au quotidien.
« Se détester, c’est facile quand on est coincé là, dans un corps qui n’est pas le sien. Chaque fois qu’on se regarde c’est difficile, chaque matin quand on se lève, chaque soir quand on se couche, et chaque foutue seconde qui s’écoule entre ces deux moments parce qu’on s’accroche à tout, dans ce monde en crépi, on se griffe sur la moindre surface, tous les contacts peuvent devenir létaux. On ne se sent pas léger, toutes les pensées sont laborieuses, tous les gestes. Comme si le corps, l’esprit et l’âme ne cessaient jamais de se combattre et de vous mettre à terre. On ne tient pas debout, sans cesse on rampe. On en vient à maudire cette prison, à souhaiter qu’elle s’écroule. Tous ces barreaux d’os et de cartilage, ces murs de chairs et de peau qui vous séquestrent depuis l’enfance. Moi, je vivais comme je le pouvais, en équilibre, funambule de ce corps, puis tout à coup la lumière m’est parvenue. »
Face à son désarroi, à l’incompréhension, à cette peur qui la ronge, c’est un psychiatre qui va finalement l’aider à mettre des mots sur son mal-être. Le début d’un long combat commence : elle se relève, s’accepte et s’affirme en dépit du jugement des autres. Soutenue par ses parents, elle commence sa transformation physique pour enfin devenir qui elle est. Aujourd’hui elle se sent prête à sortir en robe mais les autres, eux, ne sont pas prêts à l’accueillir…
« Les insultes, il y en a plein, de toutes sortes, et leurs déflagrations ne sont jamais les mêmes. Chacune vous abîme à sa façon. Les insultes, on ne les évite pas, elles sont à tête chercheuse. Elles traversent les airs, contournent tous les obstacles, savent toujours comment voler jusqu’à vous. Il y a celles qui vous transpercent, celles qui griffent, celles qui mordent, qui lacèrent, et même celles qui vous éventrent et vous laissent là, sans le moindre souffle, coupée en deux. Il y a celles qui vous caressent à peine et réussissent à vous trancher net, en plein cœur. Elles s’accrochent à vous, même quand vous courez. Elles attrapent vos cheveux, vous saisissent, vous retiennent. Elles trouvent tous les moyens de vous suivre, connaissent le chemin de votre maison, sans cesse elles vous retrouvent. Elles imprègnent vos vêtements, elles s’insinuent dessous, et là contre la peau ce n’est pas encore suffisant : elles pénètrent la chair, elles s’enfouissent en vous, cognent vos os, remplissent vos veines, deviennent un peu de vous. Elles restent logées là, comme des balles impossibles à extraire, qui continuent de vriller dans la chair et de creuser des sillons brûlants. Elles vous déforment en vérité, mais à l’extérieur rien ne change. Quand elles terminent leur course, elles sont dans votre souffle, dans vos battements de cœur, dans vos gestes et jusque dans votre voix. Le plus difficile, c’est de ne pas devenir elles. Et, quand on se regarde dans le miroir, réussir à voir autre chose. Les insultes, on ne s’en défait pas. On les garde au travers. On se construit dessus. Par-dessus. »
Ce récit est un véritable plaidoyer pour tous les êtres humains, quels qu’ils soient, ceux qui font avancer le monde, qui endurent des sévices, qui luttent pour s’affirmer tels qu’ils sont. C’est aussi un plaidoyer pour tous ceux qui n’ont pas le corps qu’ils souhaitent, qui se sentent mal dans cette enveloppe qui est la leur. Malgré cette violence, le déni face à ce corps et les violences qui lui sont infligées, le récit insuffle l’espoir, qui est toujours là : il faut continuer à lutter pour pouvoir croire en soi, s’accepter, s’aimer pour ce que l’on est réellement, car comme l’écrit l’auteur par la voix de son personnage, le corps n’est qu’une enveloppe et ne démontre pas qui l’on est réellement, quelle personne on est.
« Nos corps ne sont que des boîtes, qui contiennent nos espoirs, nos rêves, des boîtes qui renferment nos croyances, nos souvenirs, cette somme de pensées qui fait ce que nous sommes. On les décore, ces boîtes, on les habille, on les fabrique. Mais c’est à l’intérieur que sont tous les trésors. Être soi, c’est la seule clé qui les ouvre. »
J’aime beaucoup la collection « D’une seule voix » aux éditions Actes Sud junior. Elle a la particularité de présenter des textes courts et percutants qui se lisent d’une seule traite (à voix haute ou silencieusement). Je ne suis pas déçue par cette nouvelle publication qui livre avec beaucoup de naturel et de sensibilité ce témoignage du phénomène transgenre qui apparaît souvent comme « contre-nature ».
L’auteur a pris le parti de détailler avec une honnêteté et une lucidité crues les difficultés rencontrées par Sara lorsqu’elle a fait le choix de commencer sa transformation : son enfance incomprise, l’éternelle justification de ses goûts, de ses jeux soi-disant trop féminins pour un garçon, le regard des autres, les coups et la brutalité des mots, les moments de doute, sa psychologie tourmentée, les diktats d’une société qui veut tout normaliser…
« Météore » est une pépite très bien écrite qui aborde un thème délicat avec beaucoup de puissance, de justesse et de finesse. À travers un style haletant, ciselé et légèrement poétique, le récit nous livre un cri. Un cri de douleur, de colère, d’injustice et de joie, aussi puissant que le premier cri que pousse le nouveau-né. Le cri d’un être vivant !
Le +
- Sara est une héroïne déterminée et cohérente avec elle-même. Les coups qu’elle endure la fragilisent et la rendent forte à la fois. Elle est traversée par des moments de doute, mais elle se relève à chaque fois et continue d’avancer sur son chemin sans baisser les yeux.
- La plume sensible et acérée d’Antoine Dole est un atout indéniable qui rend le récit très percutant.
Le –
On pourrait reprocher au texte d’être un peu répétitif. Personnellement, ça ne m’a pas dérangée car j’avais besoin de bien comprendre le processus psychique dans le changement de sexe.
Le coin des profs
Le récit est une excellente porte d’entrée pour aborder la question des stéréotypes en général et plus précisément de la question du genre et de l’identité.
Niveau de lecture
Débutant (intermédiaire pour les âmes sensibles)
Genre
Récit réaliste
Mots clés
Corps, identité, insultes, (in)tolérance, peur de la différence, rejet, soutien, stéréotypes, transgenre, violence
Vous aimerez ce récit si vous avez aimé…
Celle dont j’ai toujours rêvé, Meredith Russo
Infos pratiques
- À partir de 15 ans
- Actes Sud junior (« D’une seule voix »)
- 65p.
- 9,80€