On n’a rien vu venir (roman à 7 voix – préface de Stéphane Hessel)
Résumé de l’éditeur
Des manifestations de liesse populaire ont lieu dans tout le pays : le Parti de la Liberté a gagné les élections…
Mais, très vite, le nouveau pouvoir exclut tous ceux qui s’éloignent un tant soit peu de la norme – les « mal-habillés », les « trop-foncés », les « pas-assez-valides »… – et instaure des règles de plus en plus contraignantes : une heure de lever obligatoire pour tous, des jours de congés fixes, des choses que l’on ne peut pas dire, faire, manger ou porter… La liste des nouvelles lois et prohibitions s’allonge, les contrevenants sont traqués et des caméras de surveillance sont installées dans certains domiciles.
Comment en est-on arrivé là ?
Mon avis
On n’a rien vu venir est un livre écrit par 7 auteures différentes (Anne-Gaëlle Balpe, Sandrine Beau, Cémentine Beauvais, Annelise Heurtier, Agnès Laroche, Fanny Robin et Séverine Vidal), chacune prenant la charge d’un chapitre. C’est un récit intéressant qui « parle de ce qui peut arriver si l’on n’y prend garde », pour reprendre dans la préface les propos de Stéphane Hessel, un ancien déporté, un écrivain et poète qui a participé à la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
L’histoire nous donne à voir ce qui peut arriver quand un parti politique trompe ses électeurs et instaure peu à peu une dictature. Elle se déroule dans un pays non identifié et de facto universel, ce qui rend la portée de l’histoire plus puissante. Chaque chapitre nous donne à lire la voix d’un narrateur adolescent touché directement ou indirectement par les nouvelles lois de plus en plus iniques : il y a d’abord l’alimentation imposée, puis l’heure du réveil, puis le placement des gens qui dérangent (les personnes âgées, les handicapés, les peaux colorées),…
« Les semaines qui ont suivi [l’élection], le Parti a édicté une loi par jour. La première a consisté à dire que cette élection avait été la dernière. Maintenant, l’avis des gens, ils n’en ont plus besoin. Tout est décidé, planifié, ordonné. On a vite compris la vie qui allait avec ce nouveau parti : bien huilée, bien réglée, propre et nette, sans rien qui dépasse. »
Afin de nous faire vivre cette aventure, les auteures donnent la parole à des enfants d’origines diverses qui se connaissent, fréquentent les mêmes quartiers et les mêmes écoles, qui vont être séparés par les évènements et raconter du coup les changements que vont générer ces lois répressives et xénophobes sur leur quotidien. Au fur et à mesure du récit, le climat de suspicion et de délation s’intensifie et devient oppressant. « Ça s’est mis en place petit à petit, on n’a rien vu venir. Tant qu’on n’est pas concernés, tant que ça se passe chez le voisin, on fait le dos rond, nous les premiers. »
À travers cette dystopie assez proche du monde que nous connaissons, les sept auteures racontent la montée d’un régime totalitaire qui s’impose et qu’aucun ne semblait avoir vu venir en votant pour son « Parti de la Liberté », un intitulé très séduisant pour mieux tromper.
Le changement d’auteure à chaque chapitre ne nuit pas à la fluidité du récit : au contraire, nous plongeons dans l’univers de jeunes qui évoquent le destin de leur(s) copain(s) raconté dans un autre chapitre. L’ensemble forme un tout cohérent, à travers le regard inquiet des personnages dépassés par la tournure que prennent les événements.
Je terminerai cette chronique par un extrait de Lire est le propre de l’homme, un recueil de témoignages et réflexions de 50 auteurs pour la jeunesse parus à l’École des loisirs :
« Connaissez-vous deux verbes plus proches que lire et élire ? Connaissez-vous deux mots plus proches que lecteur et électeur ? C’est souvent en ces temps d’effervescence politique que l’on comprend le mieux le lien vital qui existe entre lecture, éducation, liberté et donc… démocratie. » Ce récit s’inscrit dans cette philosophie : « De l’enfant lecteur au libre électeur ».
Le +
- C’est un roman engagé à mettre entre toutes les jeunes mains, pour développer leur esprit critique.
- Le récit est agréable à lire. Malgré le changement d’auteure à chaque chapitre, il forme un tout assez cohérent et fluide.
- C’est intéressant de découvrir l’univers de jeunes qui se connaissent les uns les autres. On découvre leur tristesse face à la fuite de l’un, leur lâcheté face à l’oppression de l’autre.
- Les illustrations en rouge et noir d’Aurore Petit apportent de la densité à ce qui est raconté.
Le –
- Les nouvelles lois promulguées par le Parti de la liberté sont parfois caricaturales. Cela aurait été intéressant de donner des exemples plus sournois d’oppression.
Le coin des profs
- Cette histoire est vraiment intéressante pour mettre en garde les jeunes contre les partis qui avancent masqués avec des propos démagogiques, populistes, qui promettent un monde nouveau et mènent démocratiquement au pouvoir un parti qui ne l’est pas.
Mots clés
Guerre, dictature, totalitarisme, oppression, amitié
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Matin brun de Franck Pavloff
Infos pratiques
- À partir de 10 ans
- Alice Deuzio
- 111p.
- 12€