Demandez-leur la lune (Isabelle Pandazopoulos)

Demandez-leur la lune (Isabelle Pandazopoulos)

Résumé de l’éditeur

Lilou, Sam, Bastien et Farouk. A 15-17 ans, ils vivent dans un de ces coins de France où on est loin de tout, une zone blanche. La seconde générale n’est pas pour eux, ils n’ont plus beaucoup d’espoir dans l’avenir. C’est alors qu’Agathe Fortin, jeune prof de français passionnée, leur propose un cours de soutien étrange : les faire parler. Son défi : les préparer à un concours régional d’éloquence. Eux qui n’ont pas les mots vont se raconter à voix haute.

Mon avis

Quatre adolescents aux histoires différentes se retrouvent ensemble, avec un point commun : ils sont en décrochage scolaire, mais motivés pour donner un sens à leur avenir. Lilou, Sam, Bastien et Farouk vont suivre les cours de soutien de Madame Fortin, une jeune professeure qui a une méthode de travail originale : elle travaille l’éloquence dans son cours. D’abord désarçonnés par les pratiques de leur nouvelle professeure, les quatre adolescents vont se laisser prendre au jeu et finir par apprécier ces cours, leur professeure et surtout le travail qu’ils effectuent ensemble car il a bien plus d’impact qu’ils ne le croient…

Les 4 ados sont chacun empêtrés dans des problèmes délicats. D’un côté, Lilou et sa famille ont été détruites il y a quelques mois : ils ont appris que le grand frère de Lilou s’était radicalisé et avait rejoint un groupe de terroristes islamiques. Ce fut un choc pour cette famille, qui est désormais rejetée par ses proches et ses voisins. Sam, quant à elle, sous son apparence de comédienne narcissique, est dans une situation très précaire : elle vit avec sa mère qui souffre de troubles mentaux. Elle ne contrôle pas les accès bipolaires de sa mère, mais continue à l’aimer inconditionnellement, tout en essayant de la protéger et de cacher aux autres ce qu’elle vit.

« Et donc, ma mère, elle est de ceux-là ; elle est une dérangée qui dérange. Autrement dit, ma mère est folle. On dit aussi bipolaire. Maniaco-dépressive. Ou psychopathe. Ça dépend des gens, des modes et des endroits. Mais ça change rien au fait que, parfois, il faut l’enfermer, la shooter, jusqu’à ce qu’elle s’aime, qu’elle flotte à nouveau entre deux, entre trop et pas assez. Un équilibre fragile et forcément provisoire, ça je l’ai compris comme elle, avec le temps. Parce que la folie est un état dont on ne guérit pas. Pas souvent. Pas vraiment. Et pas tout le temps.

Ça, c’est dit. Mais c’est pas ça qui compte.

Là où ça se complique, c’est ce qui vient après. Les questions, celles que vous vous posez. Comment je vis, moi, avec une mère pareille ? Qu’est-ce que je fais dans ce mobil-home à vivre sans un rond en attendant le prochain ouragan ?

Je vous entends d’ici…

Mais que font nos institutions ? La protection de l’enfance, les assistantes sociales, les éducateurs et les juges pour enfants ?

C’est pas vrai ?

Eh bien, rassurez-vous, les institutions françaises, elles font tout ce qu’elles peuvent. Et franchement, je sais de quoi je parle. En matière de protection, je crois qu’en quinze ans, j’ai fait le tour de ce qui existe. Famille d’accueil, foyers, hôpital de jour, CMP, CAPP, psychologues, assistantes sociales, etc., etc. J’ai un dossier qui doit peser ses dix kilos facile. Eh bien, le plus souvent, j’ai rencontré des gens bien, qui étaient toujours très soucieux de mon bien-être. […] Même si c’est sûr, il y a aussi des cons. […] Le problème, c’est pas eux.

Le problème, c’est que je ne veux pas être séparée de ma mère. Même si c’est plus dur avec elle, même si c’est destructeur.

Même si même si même si… ! Comme si tout était simple et carré. Comme s’il suffisait de.

Je les connais, moi, par cœur, vos bonnes raisons de nous séparer.

Que c’est une relation toxique.

Qu’il faut que j’apprenne à vivre loin d’elle.

Que j’accepte que ma mère est malade et qu’elle me fait du mal.

Que je pense à moi d’abord, que je devienne plus indépendante…

Ok d’accord, vous avez tous raison.

D’accord, oui, c’est plus raisonnable…

Mais pourquoi est-ce qu’il faudrait absolument être quelqu’un de raisonnable ? Pourquoi personne me croit quand je dis que les seuls moments où j’ai été heureuse, c’est quand j’étais avec ma mère.

Là où je voulais être.

Ma maman, oui ma maman à moi. Celle-là et pas une autre. […]

Oui, ma mère, je l’aime d’amour. Même les fois où elle a voulu me faire de mal. Où c’était plus tout à fait moi qu’elle avait en face d’elle. Même quand il a fallu m’éloigner d’elle en attendant qu’on la soigne. Ça s’explique pas. Et c’est indestructible. »

Ensuite, il y a Bastien qui est en guerre avec ses parents : ceux-ci veulent le forcer à reprendre l’entreprise familiale, mais le jeune homme n’est pas d’accord et aspire à une autre voie professionnelle. Enfin, Farouk est un jeune immigré turc qui a fui la guerre de son pays pour survivre. Il a laissé derrière lui tous ses repères, ainsi que sa famille, qui est restée au pays. Aujourd’hui déterminé à apprendre le français et à s’intégrer en France, il attend son audience, qui décidera s’il peut ou non résider sur le territoire français.

Bastien connaît Lilou depuis tout petit, mais ils se sont éloignés à cause de Kylian, ou plutôt à cause de la réaction des parents de Bastien envers le grand frère de Lilou. La mère de Bastien va même jusqu’à entretenir une rumeur ignoble sur Mme Fortin, ce qui va provoquer des tensions dans le groupe à son cours…

Durant les quelques heures de soutien scolaire auquel les héros participent ensemble, ils oublient la noirceur de leur quotidien pour se recentrer sur le groupe et les attentes de Madame Fortin. Ils ne se rendent pas vraiment compte que les exercices d’éloquence qu’ils pratiquent mettent à l’épreuve leur identité, avec leurs zones d’ombre, ainsi que leurs obstacles intérieurs pour avancer dans leur vie. Madame Fortin a confiance en eux et sait qu’ils ne sont pas les élèves en grande difficulté, perdus et irrattrapables que le proviseur ainsi que tous leurs autres professeurs veulent leur laisser croire. Elle aspire même à les inscrire à un concours d’éloquence… À travers leurs mots, ils vont se découvrir, s’ouvrir et affirmer qui ils sont.

« – Vous voyez lui, par exemple, à quoi lui ont servi vos cours ? Eh bien à rien, à rien du tout, son bulletin est une véritable catastrophe et ses parents, à juste titre, se demandent si leur garçon ne ferait pas mieux de travailler avec eux sur les chantiers. Faut se rendre à l’évidence parfois, Maheux, je vous le dis en toute amitié, l’école, c’est pas fait pour vous. Faut arrêter les dégâts…

Bastien ne dit rien. Il baisse les yeux et fait le dos rond. Il pense, ça va passer, j’ai l’habitude… […]

Quand ils sont à l’air libres, Fortin l’arrête d’un geste.

– Faut quand même que je vous dise, Bastien…

Elle est un peu essoufflée.

– Faut pas le croire… Toumalain, quand il dit… faut jamais laisser faire, ou les croire, ceux qui vous rabaissent…

Bastien se rembrunit.

– On se refait pas…

– Comment ça, on se refait pas ? Au contraire, on n’arrête pas de se refaire, de changer, et il faut se battre pour ne pas rester à la place dans laquelle on vous imagine sans vous demander votre avis.

– … Je suis mauvais à l’école, il a raison, Toumalain. Et puis dans ma famille, c’est pas comme vous dites.

– C’est pareil partout, Bastien. On n’est jamais conforme aux rêves de ses parents. Vous verrez, le monde est plein de gens déçus. Alors la seule chose qui compte, c’est de commencer à rêver avec vos mots à vous et d’oser le faire à voix haute. Le reste suivra. »

Ainsi, pour des raisons différentes, tous ont le même objectif imposé par leur enseignante : lutter contre leur sentiment d’échec et de honte et « mener la bagarre contre eux-mêmes et leurs incertitudes ». Une bataille qui passe par la prise de parole afin de développer ses idées, défendre ses convictions, grandir, penser, aimer… et être heureux, enfin.

« Je disais donc… que les mots seront vos outils, mais ces outils ne sont rien si vous n’avez rien à défendre ! L’essentiel, c’est d’avoir des idées ! Des envies ! Des convictions ! Et c’est ça qu’on va aller chercher. VOTRE singularité, VOTRE sensibilité, VOTRE manière de voir le monde. »

Ce roman montre bien toute l’énergie dépensée par un enseignant pour amener ses élèves à progresser tant sur le plan scolaire qu’en tant qu’individu. Cela s’obtient par le respect de l’autre et par la découverte de la puissance des mots. Le langage est l’élément clé du livre et c’est vraiment très intéressant de voir l’effet qu’il a sur chacun des jeunes : nombre d’entre eux sont intimidés par les mots car peu habitués à en user avec finesse. On va alors voir ce que les héros vont faire quand ils apprennent peu à peu à manier leur nouvelle arme…

« Par ici, on est plutôt taiseux. Sans doute qu’on se méfie de ceux qui parlent pour ne rien dire. Et si on préfère se taire, c’est que les mots, on les respecte trop, on sent le poids qu’ils pèsent et le pouvoir qu’ils ont. Ici, on sait, peut-être plus qu’ailleurs, que les mots qu’on dit, ils t’engagent tout entier, ils te montrent tel que tu es, d’où tu viens et à qui tu ressembles. Oui, les mots sont des révélateurs. Ils dessinent des différences et, plus encore, ils les creusent… […]

Longtemps, je me suis méfiée des mots. Quand j’ai eu besoin d’eux, ils manquaient. Ils se barraient, me narguaient, me snobaient et même ils me ridiculisaient. Alors si je parlais peu, c’est que je ne m’y risquais pas. Résultat, les gens ont toujours pensé que je n’avais rien à dire. Que ceux qui me ressemblent n’ont rien à défendre, rien dans le ventre et rien à déclarer. Mais ils se trompent. […]

Je suis là devant vous tous aujourd’hui. Je suis debout et je parle et je vous assure que c’est un vrai miracle… Je suis la preuve qu’on est tous capables de prendre la parole, d’apprendre à parler, à argumenter, à défendre des idées. Tous sans exception. Alors non, ne gardez jamais vos mots à vue ! Faites-leur confiance, demandez-leur la lune… Ouvrez grand les portes et les fenêtres…

Laissez les mots courir et prendre leur envol. Laissez-les danser et faire des cabrioles. Libres, c’est encore comme ça qu’ils seront les plus heureux. »

Le +

  • Proposer un récit qui montre l’importance du pouvoir des mots me paraît très important, surtout à une époque où la maîtrise des savoirs langagiers se délite chez les jeunes (désolée si je choque quelqu’un, mais c’est une réalité que je constate au quotidien chez mes étudiants).
  • J’ai bien aimé lire la lutte que les 4 héros vivent avec les mots : tantôt émerveillés, tantôt empêtrés dans leur magma intérieur, ils apprivoisent leurs idées et leur identité pas à pas.
  • Le réalisme social en arrière-fond donne de la puissance à l’histoire.
  • La fin ouverte me paraît intéressante.

Le –

  • La couverture n’est pas très attrayante et un peu enfantine, je trouve.
  • L’histoire me paraît un peu tirée en longueur et les personnages un peu stéréotypés. On entend souvent l’adulte qui parle à travers les héros.

Le coin des profs

Le récit est une bonne porte d’entrée pour tous les jeunes qui vivent un sentiment d’échec et/ ou qui n’ont pas encore pris conscience que la maîtrise des mots peut servir d’ascenseur social.

Niveau de lecture

Débutant

Genre

Récit réaliste

Mots clés

Amitié, éloquence, famille, identité, maladie mentale, parole, pouvoir des mots, précarité, radicalisation, réfugié, théâtre

Vous aimerez ce récit si vous avez aimé…

Le cercle des poètes disparus, N. H. Kleinbaum

Infos pratiques

  • À partir de 15 ans
  • Scripto
  • 350p.
  • 12,90€
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