La proie (Philippe Arnaud)

La proie (Philippe Arnaud)

Anthéa a 8 ans lorsqu’on la découvre dans son univers au Cameroun. Aux yeux des gens, elle est douce, tranquille, sérieuse, le contraire de sa cousine Diane. Elle va à l’école sauf le mardi car c’est le jour du marché et elle doit aider sa mère à vendre des fruits et légumes. À cause de ses absences répétées mais aussi de son manque d’intérêt pour les matières, elle accumule un gros retard scolaire.

Anthéa est l’aînée de la famille, elle s’occupe de ses petits frères selon la tradition camerounaise. Elle n’aime pas l’école, mais elle chérit sa culture, sa famille, sa liberté, les histoires qu’elle raconte aux enfants de son village au pied d’un vieil arbre, même si tout n’est pas toujours rose autour d’elle. Et puis, elle grandit, elle embellit, son corps se transforme en celui d’une future belle femme, les regards des hommes changent et la déstabilisent.

Lorsqu’elle a 12 ans, son père lui annonce qu’elle va partir en France vivre chez un couple de blancs. Ses parents l’aiment de tout leur cœur, mais leur situation financière est précaire. Comme beaucoup d’Africains, ils pensent qu’en France, leur fille pourra poursuivre ses études, apprendre un métier et les aider financièrement. Ils connaissent aussi le couple avec qui Anthéa va partir, ce qui les rassure.

Le couple en question est arrivé en Afrique il y a deux ans pour une mission professionnelle. La femme est une cliente régulière du marché, elle achète les fruits et légumes de la maman d’Anthéa et prend parfois le temps de discuter un peu. Ils ont deux enfants, un garçon à peine plus jeune qu’Anthéa et une petite fille. C’est une famille bourgeoise perçue comme idéale. Autour d’elle, Anthéa fait des envieux car aux yeux de tous, la France est le rêve de tout Africain. Pourtant, Anthéa n’a pas du tout envie de partir, elle aime son univers africain, ses amis et sa famille.

Lorsqu’elle arrive en France, le rêve qu’on lui avait prédit va vite tourner au cauchemar. Déjà, Anthéa doit s’habituer à une nouvelle culture, un nouvel environnement. Elle n’est pas habituée à l’insolence des adolescents envers leurs professeurs et leurs parents et puis, il y a aussi le changement de comportement des adultes chez qui elle loge. Eux qui paraissaient si calmes et bienveillants au Cameroun changent radicalement d’attitude, face au rythme effréné de la vie parisienne, au stress engendré par leurs sérieux problèmes de couple que leur séjour au Cameroun n’a pas réglés, mais surtout face à certains préjugés tenaces. Des siècles après l’abolition de l’esclavage, certains persistent encore dans cette idée de race inférieure, d’humains destinés servilement à l’accomplissement des tâches domestiques, car c’est ce que va vivre Anthéa : elle va peu à peu devenir l’esclave du couple…

« Se souvenir, à tout prix. Modeler dans sa mémoire un jour de la semaine par année, entre huit et douze ans. Elle se concentre dessus chaque soir, entre la toilette d’Elisabeth et le retour des adultes. Elle fouille chaque moment, en extrait la saveur, les parfums qui lui sont attachés, s’offre un voyage quotidien dans son pays natal. C’est à double tranchant, bien sûr, car ensuite le gris de l’appartement, la dureté de ces gens avec qui elle vit, devient plus difficile encore à supporter… mais c’est vital. Pour tenir, elle tente de se persuader qu’un retour chez elle, à ce stade, serait un échec, une honte pour ses parents aux yeux du village, des autres. Il faut résister au gris qui recouvre cette famille, espérer un miracle. »

La douce Anthéa, avec son caractère effacé, a beaucoup de difficultés à se rebeller et c’est ce qui en fait une proie facile : en plus d’être obligée d’accomplir des tâches domestiques, elle va peu à peu être enfermée dans l’appartement de ses « hôtes », être privée d’école, de ses papiers d’identité et devenir l’esclave sexuelle du mari. Bref, elle va vivre une lente et insidieuse descente aux enfers qui fait froid dans le dos. On voit le piège se refermer sur Théa sans que cette dernière ne puisse rien faire, la coupure progressive du monde extérieur, l’interdiction de sortir, et puis l’indicible : les assauts du mari, que l’épouse dépressive fait semblant de ne pas voir.

Théa n’aura pas d’autre choix que de puiser dans ses ressources pour apprendre à s’affirmer et à ne pas laisser les autres la soumettre comme une moins que rien, mais elle le fera progressivement quand elle aura commencé à s’éteindre et qu’elle sera complètement à bout. Elle va se battre pour retrouver sa liberté, on assistera alors à l’évolution de sa personnalité qui fera d’elle une femme décidée.

« -Esclavage ?

– le mot te choque ? Tu as perçu un salaire pour ce que tu as fait chez eux ? Privée de liberté, de papiers, mise à leur service jour et nuit. Tu appellerais ça comment ?

– Il y en a d’autres alors… des cas comme moi ?

– Oui. Sans doute beaucoup, et ça n’intéresse pas grand monde. On est dans le pays des Droits de l’Homme, circulez, y’a rien à voir. »

De la suite, je ne préfère rien dire pour ne pas briser le suspense. Juste vous dire que j’ai eu un véritable coup de cœur pour ce roman très dur, mais d’une grande justesse !

Le +

  • Le personnage de Théa est très attachant : voir cette jeune fille effacée se faire écraser, puis se relever et tenter de survivre à tout prix est vraiment touchant à lire.
  • La fin est très belle. C’est un happy end plus que bienvenu…
  • La couverture est superbe! La métaphore de l’arbre est très juste.

Le –

Au début, quand j’ai plongé dans l’enfance de Théa, le récit m’a paru un peu enfantin et je n’ai pas compris pourquoi il était destiné aux lecteurs à partir de 15 ans, mais étant donné ce qu’il se passe par la suite, c’est tout à fait justifié.

Le coin des profs

Le récit ne présente pas de difficulté de lecture, mais il n’est pas à mettre dans toutes les mains à cause des thème évoqués (il y a une scène de viol explicite).

Niveau de lecture

Intermédiaire

Récit réaliste

Récit réaliste

Mots clés

Afrique, acceptation de l’autre, el dorado, esclavage, harcèlement, préjugés raciaux, résilience, (in)tolérance, viol, violence

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La couleur des sentiments, Kathryn Stockett

Infos pratiques

  • À partir de 15 ans
  • Sarbacane
  • 291p.
  • 16€
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