Les longs couloirs (Sylvie Godefroid)
Parce que c’est toi
Depuis mon coup de cœur pour le roman La balade des pavés grâce auquel j’ai découvert Sylvie Godefroid, je suis attentive aux nouvelles publications de l’autrice. Un an après, elle m’avait surprise avec son roman coup de poing Hope, j’étais donc assez curieuse de la découvrir à travers un recueil de poésie et je n’ai pas été déçue : j’ai eu un nouveau coup de cœur !
Ce que j’aime chez l’autrice, c’est le doute qu’elle laisse planer sur la part autobiographique et fictive de ses œuvres. Ce voile de mystère révèle tout en pudeur des fragments de la femme qu’elle est sans l’exposer trop. Nous plongeons ici dans un recueil de vers libres sous forme de quatrains entrecoupés de photographies de Mélanie Patris, qui alimentent les fantasmes du lecteur sur l’intimité qui lui est donnée à lire. Une femme vient de rencontrer un homme dont elle tombe amoureuse. Elle nous emmène dans la danse des corps à cœurs qui s’efforcent de palper et apprivoiser les peurs, les chagrins et les blessures de l’autre.
« Et si tu tombes sous le vent
Si tes genoux pleurent la vie
Je saurai transformer ta pluie
Je saurai consoler l’enfant.
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Et si tu tombes où je survis
Si tes orages se caressent
Je saurai unir la tendresse
Aux cailloux qui feront ton lit.
—–
Et si tu tombes sous l’armure
Si tu as peur de l’homme en toi
Douceur au pays des ratures
Je serai ta femme de soie. »
À travers une plume très sensorielle, l’autrice nous emmène dans les prémices d’une relation amoureuse : entre les frémissements de la rencontre, l’ivresse des caresses, les silences tantôt aphrodisiaques tantôt inconfortables, nous passons par une belle palette des facettes du sentiment amoureux.
« Je te promets l’orage
Des pages à découvrir
Des contes et des voyages
Aux portes d’un empire.
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Je te promets des mots
Des mains et de l’ivresse
Des matins de tendresse
Au sommet de nos peaux.
—–
Je te promets la paix
Des danses au coin du feu
Des nuages et le miel
Qu’on lira dans nos yeux. »
L’alchimie des peaux et la fougue de la passion guérissent les blessures du passé et donnent l’espoir en un avenir meilleur, en une relation apaisée avec un autre qui comprend enfin la femme qui s’exprime (« C’est vers la paix que je tends / Mes guerres s’effacent »). Même si elle est amoureuse et imprégnée d’une douce folie, elle n’en est pas moins lucide : ses démons sont bien là, la femme aux talons hauts se veut émancipée malgré son amour naissant qui la rend fragile. Telle une funambule, elle avance à tâtons, s’appuyant sur sa force, « en quête d’être sublimée », se promettant de ne plus se taire. L’homme qu’elle a choisi est désormais son nouvel horizon (« tu es l’évidence »).
« J’en ai le cœur qui perle
Des flocons de bonheur
À construire nos heures
Chaque pas nous appelle.
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Tu es ma plus belle île
Mes reliefs escarpés
De mes livres, la clef
Des chapitres fertiles.
—–
Tu es ma page blanche
Et l’encre de l’amour
Que ton regard déclenche
Je t’offre les toujours. »
J’ai adoré me laisser bercer par l’alchimie des peaux et la danse amoureuse de la narratrice dans Les longs couloirs de Sylvie Godefroid. J’ai beaucoup aimé aussi la postface où elle exprime sa façon de vivre le processus d’écriture.
« Ce n’est pas rien l’écriture. Écrire, ce n’est pas anodin. C’est livrer mille batailles et délivrer des secrets. C’est pleurer des étoiles et découper des voiles. Monter des projets et démonter des certitudes. Ce n’est pas rien l’écriture. […] On ne revient jamais indemne du pays des mots. C’est pour ça qu’il ne faut pas y aller habillé de solitude. Il faut une main pour accompagner chaque plume. »
Sylvie Godefroid, Les longs couloirs, Le Scalde éditions, Bruxelles, 2020, 237p., 20€