Les longueurs (Claire Castillon)
Résumé de l’éditeur
Dans la tête d’une enfant sous l’emprise d’un pédophile: un roman vertigineux et cru, porté par le talent magistral de Claire Castillon. « Tu es fermée comme une outre, me dit maman. Toute floue, Lili. Et puis fuyante. Il se passe quelque chose, dis-moi. On t’a fait un sale coup ? Je peux t’aider ? Je te dépose au collège ? » Outre noire. Peinture. Soulages. Cours d’art plastique avec Mme Peynat en salle 2B. Concentre-toi, Lili. Trouve la solution. Il y a toujours une voie de réchappe. Les mamans savent, à peu près. D’instinct, elles devinent. À peu près. La mienne sait que dans sa fille quelque chose ne marche plus.
Mon avis
Depuis que son père, un dermatologue pas très responsable, est parti vivre aux Etas-Unis, Alice, 8 ans, vit avec sa mère . Elle voit aussi régulièrement Mondjo, un ami de sa mère et un prof d’escalade qui aime bien Alice, même un peu trop. Il amène Lili à l’escalade, l’encourage, lui fait faire des compétitions, lui offre des cadeaux et l’affection qu’elle ne reçoit pas de son père parti trop loin. Puis, petit à petit, il resserre son emprise sur elle, l’abusant sexuellement et psychologiquement. À quinze ans, Lili se retrouve empêtrée dans des sentiments contradictoires, des croyances erronées sur l’apprentissage de la sexualité et de l’amour.
« Au lycée, on nous a parlé de prédateurs sexuels. Des gens qui prennent l’ascendant. Puis qui font des choses. Souvent des connaissances. Cousins, oncles, amis de la famille. Parents, tous proches de l’enfant. Mais moi, j’ai quinze ans et je ne suis plus une enfant. C’est différent puisque je vis une histoire d’amour au long cours. Un jour, avec Mondjo, on se mariera. On a commencé tôt, d’accord, mais on se mariera. »
Claire Castillon y décortique la psychologie de la petite fille abusée, l’emprise du prédateur sexuel dont les perversités sont sous-entendues, mais aussi la complexité de la systémique familiale incestueuse (« Les mamans savent à peu près. D’instinct, elles devinent. À peu près. »).
« Alice, tu sais ce qu’il y a entre nous, tu sais aussi que personne ne doit jamais savoir, n’est-ce pas ? Tu sais que si tu le répètes à quelqu’un, ton père finira en prison, pour abandon de domicile, et ta mère sera jugée pour maltraitance ? Tu sais qu’on lui retirera ta garde évidemment, et que ton père jugé déficient ne pourra pas te récupérer. Tu seras donc placée en famille d’accueil. Alice, je t’aime, tu le sais, n’est-ce pas ? Mais je ne pourrai rien pour toi, et nous serons nous aussi séparés. Nous sommes bien d’accord tous les deux, nous avons un secret, plus précieux que tout. Un secret magnifique que tout enfant partage avec un adulte… C’est le secret de la vie, ta maman a vécu ça, chaque personne a un grand amour dans sa vie, qui le forme. C’est normal. En vivant une petite amourette avec ta maman, je me rapproche davantage de toi. C’est tout. On est d’accord ? »
Au bout d’un certain temps, Lili commence à comprendre que son secret n’est pas normal, elle n’ose en parler ni à sa mère ni à ses professeurs. C’est avec une copine qu’elle évoque ce qu’elle croit être un amour partagé, le secret est alors éventé auprès des parents et tout va très vite.
La première et la quatrième de couverture étant tout à fait explicites, il est clair que personne ne se lancera dans « Les Longueurs » sans savoir de quoi il retourne et sans y être préparé. Aussi, découvrir l’histoire d’Alice ne relève en rien du plaisir traditionnel du lecteur face à un roman captivant, il est plutôt question ici de mettre une nouvelle fois en évidence le rôle de la littérature, et plus particulièrement de la littérature de jeunesse. En effet, Claire Castillon et la Collection Scripto de Gallimard frappent fort en proposant aux adolescents un livre sur la pédophilie. Écrit du point de vue de l’enfant, ce roman présente sans détour le mécanisme affreusement insidieux qui conduit un homme à prendre le pouvoir sur un enfant, annihilant à la fois l’innocence, la confiance en soi et la confiance portée aux adultes. C’est cru, sans être obscène. C’est troublant de réalisme et très finement raconté : les adolescents décèleront très vite le problème et comprendront que, derrière ce roman audacieux, se cache une réalité dont ils sauront reconnaître les signes. Il paraît toutefois judicieux de conseiller ce roman de manière ciblée et non à toute une classe pour éviter une certaine violence aux âmes sensibles et aux victimes d’abus qui s’ignorent.
Dans ses livres pour la jeunesse, Claire Castillon ose s’emparer de réalités douloureuses : le harcèlement scolaire dans « River », le locked-in syndrome dans « Proxima du Centaure » et désormais la pédophilie dans « Les Longueurs ». Ce dernier est un livre à la fois cru et assez vertigineux. L’autrice prouve une fois de plus qu’elle n’a rien perdu de son sens pointu de l’observation et de sa franchise sans la moindre concession. Dans ce récit à la fois sombre et lumineux, on aime que la noirceur s’efface (très légèrement certes) au profit de l’émotion et parfois même d’une touche d’humour loufoque particulièrement bienvenue. Un livre qui devrait être lu aussi bien par les adolescents que par les adultes, et notamment les parents et les enseignants, pour qu’ils comprennent mieux les signes de ce genre d’emprise vécue par leurs enfants ou les enfants de leur entourage.
« Quand l’amour a fini de donner les joues rouges, il donne les joues blanches, et les filles deviennent des fantômes. Parce que la nourriture ne passe plus, le secret prend trop de place dans le ventre. Il n’en laisse pas pour la moindre nourriture. Est-ce pour ça que je vomis autant ? »
Un roman coup de poing !
Le +
- L’autrice a trouvé un bel équilibre pour aborder un contenu violent de façon percutante et sous-entendue à la fois.
- À partir du moment où Lili s’est confiée à une amie, le processus de dévoilement du secret se met en marche et le suspense est haletant. On termine l’histoire le souffle coupé.
Le –
Mon grand regret dans toutes ces histoires d’abus sexuels, c’est qu’elles s’arrêtent au moment où le secret est dévoilé et la victime mise en sécurité. Il faudrait vraiment écrire une histoire sur le long processus de résilience pour faire comprendre que c’est loin d’être fini quand l’abus est identifié. Le travail de reconstruction peut durer toute une vie et est jalonné d’obstacles très difficiles et douloureux.
Le coin des profs
Cette histoire n’est certainement pas à mettre en toutes les mains, elle est à conseiller au cas par cas à des lecteurs capables de lire une telle violence. Un accompagnement adulte me paraît indispensable.
Niveau de lecture
Intermédiaire
Genre
Drame
Mots clés
Amour, emprise, famille, honte, pédophilie, secret, séparation, sport
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Ma tante est un cachalot, Anne Provoost
Infos pratiques
- À partir de 13 ans
- Scripto
- 185p.
- 10,50€